Le manuscrit clandestin représente un genre très particulier de la communication philosophique propre à l’époque moderne : on peut envisager le Colloquium Heptaplomeres de Jean Bodin, à la fin du XVIe siècle, comme l’archétype du genre, mais les quelques 200 textes répertoriés, correspondant à près de 2000 copies dispersées dans les bibliothèques publiques et privées remontent pour la plupart à la deuxième partie du XVIIe et au siècle suivant.
De l’âge libertin au plein épanouissement des Lumières, les manuscrits clandestins traversent une époque de transformations culturelles importantes et reflètent ainsi des orientations différentes : on ne saurait parler de philosophie clandestine sinon au pluriel, compte tenu du fait que ces textes empruntent tour à tour au scepticisme de Montaigne et de Bayle, au rationalisme de Descartes ou de Malebranche, à la métaphysique spinoziste ou au mécanisme de Hobbes, à la méthodologie empiriste et sensualiste de Locke. Surtout, ils explorent des voies nouvelles en combinant des parcours philosophiques parfois hétéroclites, avec la conviction que l’histoire culturelle européenne doit être lue « entre les lignes », et qu’il faut être à la recherche d’une vérité cachée derrière les professions officielles de foi des écoles ou des auteurs.
Un aspect particulier de cette littérature clandestine est son intérêt pour la comparaison entre les grandes religions de la région méditerranéenne : le Christianisme, le Judaïsme, l’Islam. Au cœur de la recherche, il y aura aussi une hypothèse à vérifier : à savoir, si ces textes de critique de la religion ont été capables d’éviter les dangers de l’antisémitisme et de l’islamophobie. On essayera aussi de dégager tout un courant de philosémitisme qui traverse le domaine de la littérature clandestine.
L’aboutissement final de ce projet de recherche sera l’écriture de plusieurs chapitres du livre que je suis en train de rédiger sur L’Histoire de la pensée clandestine de Bodin à Meslier.