Mathieu Corp
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Pratiques artistiques et gestes iconoclastes en Amérique Latine: Régimes de visibilité alternatifs du patrimoine
Le projet porte sur un corpus d’œuvres, de pratiques et de gestes d’artistes latino-américains qui interrogent les notions de patrimoine et de monumentalité, les lectures et les formes de médiatisation du passé déployées dans l’espace public par les lieux de pouvoir, d’histoire et de mémoire. Leurs pratiques mettent en scène des gestes iconoclastes sur la statuaire et les monuments, et plus largement sur un patrimoine iconographique, dans l’espace public comme dans les espaces d’exposition des mondes de l’art. Elles s’appuient sur des transformations sémiotiques et déploient parfois des gestes performatifs qui témoignent de rapports problématiques au passé et de mémoires en conflit.
Réappropriation, déconstruction, relecture ou actualisation constituent différentes modalités de relectures critiques de l’histoire et de l’évolution des sociétés latino-américaines, ainsi que de leurs rapports à l’image. Les pratiques et gestes mis en œuvre par les artistes visent à interroger et interférer avec les fonctions sociales et politiques des images situées dans l’espace public ou dans celui du musée. Faisant émerger la conflictualité de l’histoire, elles ébranlent toute conception hiératique et univoque du patrimoine, et produisent des régimes de visibilité alternatifs.
On trouve en Amérique Latine de nombreuses occurrences de gestes iconoclastes, en relation avec les événements politiques des différents contextes dans lesquels ils sont produits. Tous témoignent de rapports problématiques au passé et mobilisent différents événements et périodes de l’histoire : la période préhispanique, la Conquête, l’expérience coloniale, la construction des identités nationales, ou encore les dictatures et régimes autoritaires. La façon dont la statuaire et plus largement le patrimoine sont resignifiés montrent que ces gestes n’expriment pas seulement une lecture critique du passé, mais qu’ils peuvent également avoir une valeur prospective. Capables de projeter dans l’espace public les aspirations exprimées, notamment durant des mouvements sociaux, par des manifestants, des collectifs et des artistes, ils génèrent de nouveaux régimes de visibilité, tournés vers l’avenir.
La notion de « contremonumentalité » a émergé à la fin du XXe siècle pour caractériser des interventions et des installations qui, bien souvent précaires, s’opposent au caractère édifiant des monuments et proposent des récits alternatifs à l’histoire officielle. Nombreux sont les artistes latino-américains qui participent et modélisent dans leurs œuvres des pratiques iconoclastes, investissant la notion de contremonumentalité pour explorer des conceptions alternatives du patrimoine et de la rigidité qui les caractérise. La précarité des interventions qu’ils mettent en scène, dans le temps comme dans les moyens sur lesquelles elles reposent, s’opposent au caractère édifiant des monuments et s’inscrit dans un renouvellement des acceptations du patrimoine.
L’analyse des ressources esthétiques sur lesquelles s’appuient ces pratiques, et l’hétérogénéité des transformations qu’elles sont capables de déployer, doit permettre d’élaborer une typologie des gestes iconoclastes. Celle-ci va de la mise en scène – et en images – de la disparition de l’image, à la reconquête de l’espace de projection et de visibilité dont elle jouit dans l’espace public ou dans l’espace à haute valeur symbolique qu’est le musée. En esquissant une cartographie des pratiques et des gestes iconoclastes à l’échelle latino-américaine nous souhaitons distinguer des pratiques et des problématiques partagées. Il s’agit de pratiques hybrides, à la fois militantes et artistiques, mises en œuvre par des artistes et des collectifs, qui visent à également à étendre les potentialités des arts visuels au-delà des espaces traditionnels du monde de l’art, que fréquentent essentiellement une élite. Parfois regroupés sous le néologisme « artivisme », différents termes identifient ces pratiques interpellatives : activisme artistique, happening, performance. Dans les œuvres qui sont exposées dans les espaces traditionnels du monde de l’art, comme dans les appropriations temporaires de l’espace public par des collectifs ou des artistes, les gestes iconoclastes sont mis au service d’une utopie concrète : se défaire d’une représentation hiératique et monolithique du passé (et de la nation), presque toujours patriarcale, pour en pluraliser les conceptions et lectures, tout en assumant la conflictualité en tant que moteur de l’histoire.
biographie
Docteur en sciences de l’information et de la communication, Mathieu Corp est actuellement maître de conférences en arts visuels et études latino-américaines à l’Université d’Aix-Marseille et membre du Centre Aixois d’Études Romanes (EA 854). Il étudie les rapports entre art, histoire et politique dans les arts visuels contemporains en Amérique latine. Dans ses travaux, il analyse les images en fonction du contexte historique, politique et socioculturel, et des dispositifs (médiatiques, discursifs et scénographiques) qui leur donnent sens. Il s’attache également à retracer, au-delà du champ de l’art, les filiations et transferts iconographiques entre images, dans le but d’appréhender et de contextualiser les enjeux politiques dont elles sont investies, ainsi que les fonctions sociales qu’elles servent. Dans leur capacité à mettre en exergue et interroger nos usages des images, ses recherches montrent que les arts jouent un rôle charnière pour appréhender la culture visuelle. Il enseigne les arts visuels au sein du Département d’Études Hispaniques et Latino-américaines, a participé et organisé des événements scientifiques impliquant des activités pédagogiques, culturelles et artistiques, en partenariat avec des acteurs des mondes de l’art et de la culture.