Babacar Kanté

Babacar Kanté
Résidents Labex RFIEA+
pas Eurias

dates de séjour

17/02/2020 - 13/07/2020

discipline

Droit

Fonction d’origine

Professeur

Institution d’origine

Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)

pays d'origine

Sénégal

projet de recherche

Droit constitutionnel et irénologie : pour une science constitutionnelle de la crise

Les recherches sur les conflits révèlent que les périodes de crises, de tensions ou de guerres ont été plus longues que celles de paix entre les nations ou au sein des nations. Dans les relations internationales comme dans le cadre national, le principe semble donc être la crise alors que les relations pacifiques seraient l’exception. Si cette assertion est correcte, elle l’est encore plus en Afrique.

Il est vrai que les conflits sont inhérents à la vie en société. Mais les pays africains, notamment de l’espace francophone ont, en effet, connu de longues périodes de crises et de confits. Il en a été ainsi en Afrique de l’ouest pendant la période antérieure à la coloniale, durant la colonisation et au cours de la période post coloniale. Que cette tendance persiste encore aujourd’hui peut paraître, à tout le moins, étrange. On constate que sur le continent, environ trente-quatre pays, sur les cinquante Etats, connaissent aujourd’hui une crise ouverte ou latente.

Pourtant, après leur accession l’indépendance, les pays de l’Afrique de l’ouest, dans leur majorité, ont connu une évolution qu’on pourrait résumer en trois grandes étapes. Dans un premier temps, les régimes politiques mis en place se caractérisaient par un certain autoritarisme. Ils étaient tous marqués par le système du parti unique, avec toutes les conséquences déjà connues qui s’y attachaient. Ensuite, ils ont amorcé ce qu’il est convenu d’appeler l’ouverture de la transition démocratique. Enfin, actuellement, on assiste à une gestion de cette transition faite de hauts et de bas, avec une alternance des avancées et des reculs démocratiques.

Mais ce qui caractérise encore plus la période actuelle est, paradoxalement, la recrudescence des crises. Cette situation est d’autant plus étonnante que l’ouverture de la transition démocratique avait suscité un vent d’espoir. Cette ouverture a en effet été marquée par la conférence nationale de février 1990 au Bénin, qui a été suivie par d’autres du même genre dans les pays francophones. Ces conférences avaient pour objet de faire le bilan de l’exercice du pouvoir dans les pays concernés et d’instaurer un nouvel ordre juridique et politique. On a ainsi pu noter une ouverture vers le pluralisme politique par la reconnaissance du multipartisme, une promotion de la décentralisation, l’affirmation de la liberté du commerce de l’industrie, la consécration de juridictions constitutionnelles autonomes, la création d’autorités administratives indépendantes, etc.

Ces crises qui gangrènent actuellement les régimes politiques de l’Afrique de l’ouest francophone trouvent leur origine généralement dans la lutte pour l’accession au pouvoir et sa conservation, c’est-à-dire dans l’organisation de l’élection présidentielle. Elles sont donc de nature fondamentalement politique. Mais, en réalité, au cours de leur évolution, ces crises revêtent progressivement trois aspects. Dans un premier temps, elles se présentent souvent la forme d’un différend politique, bien circonscrit, qui oppose la majorité et l’opposition, au sujet des conditions de l’organisation d’une élection transparente et démocratique. C’est ensuite qu’elles prennent une nature différente en devenant nationales, avant de s’internationaliser finalement. Mais, avec le temps et leur mauvaise gestion, ces crises se transforment en problèmes sécuritaires avec la répression qu’elles engendrent. Cette répression, à son tour, provoque souvent des déplacements de population ; ce qui va donner naissance à ces crises humanitaires.

Face à cette situation, trente ans après l’ouverture de la transition démocratique, on est en droit de se demander légitimement, si le droit constitutionnel, qui a vocation à régir le fonctionnement des institutions politiques, remplit effectivement cette fonction et s’il est encore pertinent. L’échec des tentatives de constitutionnalisation de la vie politique par la soumission du pouvoir au droit devient en effet patent. On se trouve, en effet, devant une évolution cyclique des régimes politiques africains, faite d’un jeu de yoyo constitutionnel oscillant entre des progrès et des négations des principes démocratiques. Il est, dès lors, nécessaire de réfléchir à une nouvelle approche du droit constitutionnel en Afrique francophone.