Alexie Tcheuyap
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BOKO HARAM, LES MEDIAS ET LE DISCOURS SÉCURITAIRE
Depuis les années 1990, l’espace post-colonial a été associé à un ensemble de concepts, dont le dénominateur commun est l’instabilité, un discours que les médias contribuent à propager. L’apparition récente de Boko Haram a élargi la cartographie de la violence. Avec des groupes dispersés dans tout le Nigeria, Boko Haram a fait des ravages dans la géopolitique de la violence, entraînant une véritable mutation : si le nombre de conflits n’a pas augmenté, les organisations terroristes ont transformé les modalités des conflits préexistants. Dans la mesure où ceux-ci n’impliquent plus deux armées et sont donc moins asymétriques, les ennemis « invisibles » sont implantés sur un terrain où la « loi de la guerre » (ou différentes conventions, de valeur variable) n’existe pas. De plus, ce qui est nouveau est que Boko Haram ne revendique pas d’être actuellement en « guerre » : le groupe se contente de terroriser des populations civiles, alors que les États leur déclarent ouvertement la guerre. Sous ses différentes formes, la violence a jusqu’à récemment fait l’objet de quatre sortes de couvertures médiatiques : des représentations littéraires, des émissions audiovisuelles, une production intellectuelle et, enfin, des rapports de recherche ou études d’«experts ». Avec l’apparition de Boko Haram, seules les trois dernières formes et les rapports sur les études stratégiques esquissent une compréhension des dynamiques de ce groupe terroriste. Ce projet comble un manque dans la recherche actuelle par une analyse scientifique du discours médiatique sur Boko Haram. Alors que les couvertures des médias occidentaux mettent l’accent sur le caractère monstrueux des massacres perpétués par ce groupe et sur les aspects sécuritaires, les journalistes des pays concernés souvent au-delà de l’indignation humanitaire et offrent d’autres interprétations. Par exemple, ils tendent à nier l’existence de Boko Haram, parfois réduit à une conspiration occidentale et ils abordent l’insécurité comme une opportunité politique de corrompre les gouvernements. La manière souvent contradictoire dont les médias rationalisent les attaques, ainsi que les enjeux politiques que leurs apparitions suggèrent dans le discours sécuritaire n’ont jamais été étudiés systématiquement.
biographie
Alexie Tcheuyap est professeur au département d’études françaises de l’Université de Toronto. Il est titulaire d’un doctorat de IIIe cycle en littérature de l’Université de Yaounde et d’un doctorat en études française de la Queen’s University (Kingston, Canada). Ses principaux sujets de recherche sont les études des médias, des littératures et du cinéma africains francophones.