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Certains usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont été identifiés à un désir d’émancipation (ou d’empowerment) de la part de citoyens et citoyennes qui les mobilisent, c’est-à-dire le souhait que ces usages puissent faciliter ou rendre plus visible une capacité d’agir de personnes humaines se percevant en situation de domination sociale ou d’exploitation économique. L’exemple cité le plus fréquemment est l’usage des médias sociaux par les participants aux mouvements sociaux lors du Réveil arabe de 2011. Les analyses furent nombreuses pour montrer que l’indignation et l’injustice doivent être déjà fortement ressenties par les populations pour que puissent s’enclencher des mouvements sociaux. L’usage des médias ne peut à lui seul déclencher un mouvement social (Lecomte, 2009 ; Granjon, 2011). Nous souhaitons proposer ici quelques pistes pour penser l’articulation entre les usages participatifs contemporains des technologies numériques en tant que vecteurs d’émancipation – mais aussi, simultanément, d’aliénation – et un ensemble de pratiques individuelles et collectives visant la construction d’une démocratie cognitive, c’est-à-dire l’édification d’une organisation sociale et politique où l’ensemble des citoyens retrouveraient leur plein droit à la connaissance, un droit ayant eu tendance à s’effacer avec la sur-spécialisation, le cloisonnement et le morcellement des savoirs causés par les développements disciplinaires des sciences naturelles et sociales (Morin, 2006). Ces pratiques émergentes visent aujourd’hui localement la constitution de « communs de la connaissance ». Ces nouvelles pratiques collaboratives orientées vers la construction du commun (Dardot et Laval, 2014) sont le fait de communautés épistémiques (Haas, 1992a ; Conein, 2004) qui résistent au processus de transformation de l’information en marchandise, rouage essentiel du capitalisme informationnel (Proulx, Garcia et Heaton, 2014).
Évolution de la pensée critique en communication : des années 1970 à l’ère numérique
Nous vivons aujourd’hui sous l’emprise d’une idéologie de la participation, c’est-à-dire que des agents sociaux en provenance de divers milieux, témoignant d’orientations politiques hétérogènes, proposent d’investir un grand nombre de domaines de la vie sociale, culturelle et politique par le biais du « participatif », qu’il s’agisse par exemple de la démocratie, de l’art ou de la technologie. Ainsi, en ce qui concerne le domaine des technologies numériques, l’invention de la notion de « Web 2.0 » (O’Reilly, 2005) – expression qui connut son âge d’or de 2003 à 2007 et qui fut prolongée dans celles de « Web participatif » ou de « Web social » – exprime cette tendance à vouloir investir l’Internet de forces et de dynamiques en provenance des pratiques des usagers ordinaires (Millerand, Proulx et Rueff, 2010). Et l’on peut constater qu’effectivement de nombreuses innovations sociotechniques apportées au Réseau des réseaux depuis ses origines, ont été le fait d’usagers ordinaires opérant selon une logique d’innovation horizontale ou ascendante (Von Hippel, 2005).
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