Une nouvelle histoire de la psychologie moderne

auteur

Csaba Pleh

date de sortie

01/05/2013

discipline

Psychologie, psychiatrie et psychanalyse

L’histoire de la psychologie moderne a été déjà décrite maintes fois. Pourquoi donc l’étudier à nouveau ? La motivation pour ce projet que je réalise au Collégium de Lyon se base sur plusieurs facteurs. L’historiographie de la psychologie a survécu à plusieurs défis depuis les années 1980. La tendance traditionnelle des psychologues, représentée par les « textbooks » tels que ceux d’Edwin Boring, était disciplinaire. Les représentants de ce point de vue ont proposé une vision uni-centrique de la psychologie expérimentale des laboratoires, et leur fonction pratique a assisté à la socialisation des générations de nouveaux psychologues. La nouvelle tendance, l’historiographie professionnelle, a été développée par les historiens il y a une génération. Les fondateurs principaux étaient Kurt Danziger, Mitchell Ash et Martin Kusch. Ils ont appliqué quelques idées du « programme fort » (strong program) du mouvement de la sociologie des sciences (science studies), présent surtout à Edinburgh. Pour les participants de ce mouvement, les disciplines font l’objet de l’histoire sociale et doivent être étudiées équitablement sans les préjugés du progrès scientifique. Concernant les méthodes préférées, la nouvelle historiographie critique requiert la combinaison de la recherche des sources primaires (des publications originales, des matériaux archivés) et d’une vision plus large de la fonction et de la détermination sociale de la discipline.

Grâce à ce défi lancé par les historiens de la sociologie des sciences, la pratique de l’historiographie faite par les psychologues eux-mêmes commence non seulement à utiliser plus de données primaires mais également à analyser la symbolique sociale des pratiques professionnelles ainsi que leur déterminant social. De plus, elle applique une image de soi plus réflexive.

 

Cependant, cette tendance ne doit pas oublier que nous avons affaire à trois contextes de la science et de la pratique professionnelle : (i) à la société, (ii) aux idées et (iii) aux psychologues individuels avec leur vie, leurs motivations et leur encerclement social.

 

Les descriptions historiques traditionnelles de la psychologie étaient trop internalistes. Elles ont exploré exclusivement les changements de théories, ajoutant un peu d’épices pour les aspects institutionnels. De plus, les changements étaient interprétés comme inhérents aux théories.

 

Mon livre essaie de faire la balance entre le point de vue des psychologues et celui des historiens en prenant en compte trois niveaux d’interprétation : (i) la sphère intellectuelle, (ii) la sphère personnelle et (iii) la sphère sociale. Ces trois critères doivent être entièrement considérés comme faisant partie des aspects de la vie réelle des psychologues.

 

La tendance professionnelle et critique de la sociologie des sciences combinée à l’utilisation des données primaires (ex. les anciens journaux digitalisés), devenues plus accessibles, nous permet de contrôler quelques idées reçues.

 

Prenons pour exemple la prédominance des publications. Contrairement aux attentes théoriques, cultivées aussi par les manuels classiques de l’histoire de la psychologie, dans la psychologie dite classique (1880-1910), les publications avec un contenu introspectif n’étaient pas prépondérantes. À l’époque du behaviorisme (1920-1950), les manuels suggéraient une prédominance des études animalières. Mais en réalité, les publications traitant des animaux ne primaient pas, même aux États-Unis.

 

Les représentants du programme fort aiment bien cette constatation : l’histoire des sciences traditionnelle est pleine de préjugés gratuits. Néanmoins, l’analyse plus profonde de la question montre un écart entre l’idéal et la pratique. À l’époque classique, l’idéal était l’introspection tandis qu’à l’époque du behaviorisme américain, c’était le modèle et l’expérimentation animaliers. La contradiction entre l’idéal et la pratique était toujours une raison potentielle de changements idéologiques.

 

En utilisant la nouvelle approche de la professionnalisation historique de l’historiographie de la psychologie, j’essaie toujours de faire une histoire par un psychologue et pour les psychologues.

 

Mon point de vue est caractérisé par les facteurs suivants :

La question de l’origine de l’histoire de la psychologie est en elle-même une question de point de vue. Je la commence à partir de l’institutionnalisation de la psychologie, c’est-à-dire à partir de 1870. C’est l’époque où commence l’interaction éternelle entre les intérêts de la profession et de la science, qui est la dynamique prédominante de notre profession.

La combinaison de la théorie des idées et de l’histoire sociale. Les théories et les pratiques sont nées dans un contexte social mais les idées elles-mêmes font partie de ce contexte.

La vision pluri-centrique de la naissance et du développement de la psychologie. J’utilise cette perspective, introduite par Kurt Danziger, concernant les rôles et les situations professionnels.

Il y a toujours des centres alternatifs et des modèles pour des rôles alternatifs.

La relation permanente entre science et profession

La prise en compte d’autres professions et d’autres sciences telles que les alliées et les rivaux de la psychologie.

 

Le livre est organisé autour de la notion des trois modèles de rôles et de l’hybridisation développés par Danziger.

Le reclus de laboratoire avec les rôles de l’expérimentateur et du sujet. Il existe une combinaison de l’attitude des sciences naturelles et de la philosophie. C’est le modèle de Wilhelm Wundt qui domine la psychologie académique jusqu’à nos jours.

Le domaine ou le territoire de la clinique avec la combinaison : (i) des attitudes médico-herméneutiques, (ii) des rôles de l’interrogateur (iii) des rôles de l’interprète des symptômes et du patient. C’est le modèle de Charcot, de Binet, de Freud, pratiqué non seulement sur le territoire de la clinique classique mais dans tous les domaines de la guidance.

La vie quotidienne avec ses questions pratiques (qui est le bon travailleur, écolier, soldat, etc.) et avec les collections de données en masse. Dans ce cas, on trouve une combinaison de la prise en compte de la vie quotidienne et de celle de la biologie évolutionnaire. Les rôles sont: le psychologue comme businessman fournisseur et l’homme de la rue, l’homme moyen de l’autre côté, avec les réquisitions de la société comme rôle tiers. Mais l’approche dans le livre utilise une vision plus pluri-centrique dans deux autres sens.

 

La prise en compte des autres sciences

Le livre place les développements de la psychologie dans le contexte des autres sciences sociales (anthropologie, sociologie, éducation, linguistique) et dans celui des disciplines philosophiques (logique, épistémologie, philosophie des sciences). Il relie l’histoire de la psychologie aux sciences naturelles, surtout à la biologie. Les cadres traditionnels se sont concentrés sur la physiologie et surtout sur ce qui s’appelle aujourd’hui la neuroscience. Je n’ignore pas la centralité de la neuroscience dans le développement de la psychologie mais je ne considère pas la physiologie comme un cadre de référence unique.

 

J’essaie également de montrer la convergence et l’influence mutuelle entre les mouvements de l’art moderne et la psychologie. Nous pouvons remarquer les convergences entre les modèles décomposés de la vision humaine et la décomposition dans la peinture moderne. Ou découvrir des parallèles intéressants entre les crises culturelles de la tradition avec la modernisation et les essais de l’écriture nouvelle de Joyce, Proust, Musil, Gide et les théories de la mémoire. Plus près de notre temps, nous trouvons des parallèles entre les pratiques, les théories narratives des écrivains (Kundera, Lodge), les théories narratives des philosophes (Ricœur, Dennett), les recherches narratives dans la psychologie d’aujourd’hui ainsi que les métathéories narratives proposées par Bruner.

 

Les cadres du livre mettent un autre point de pluralité en lumière : la psychologie européenne est une composante active même après des premières décennies de notre science. La tendance traditionnelle a considéré la psychologie comme une affaire américaine depuis les années 1920. La tendance traditionnelle a formé un mouvement descriptif vers l’internationalisation de l’histoire de la psychologie dans les années 2000. J’accepte leurs données et leur défi. En revanche, en reconnaissant l’importance de la psychologie non-anglophone, je considère le mouvement et la transformation des idées comme aspects centraux de l’internationalisation. L’interprétation de Piaget, par exemple, était radicalement différente aux États-Unis et en Union Soviétique

 

Le problème du présentisme

Dans l’histoire traditionnelle de la psychologie, il existait un écart entre approche antiquarien et approche présentiste. L’avenir de l’attitude historique professionnelle au domaine de l’histoire de la psychologie nous suggère la victoire de l’approche antiquarien. Nous comprenons et interprétons le passé sine ira et studio. Néanmoins, nous rencontrons plusieurs problèmes. Premièrement, dans notre histoire courte, en utilisant la phrase fameuse de l’Ebbinghaus, l’historien est toujours l’enfant de son temps, et emploie toujours un point de vue. Il n’existe pas de narration sans point de vue. Le mien est la combinaison de l’approche évolutionnaire et de la recognition de la centralité des cadres sociaux de l’esprit humain. Sans distorsion du récit plutôt narratif de l’histoire que je présente, j’exprime mes préférences quand je montre plus en détails la continuité ou la réémergence de quelques thèmes favorisés par l’auteur.

 

Le message de Darwinisme universel

J’examinerai l’impact de Darwin sur la psychologie et sur l’image de l’homme en général de manière plus approfondie. Nous pouvons différencier trois interprétations de Darwin a partir des années 1880.

Toutes les caractéristiques mentales ont une histoire évolutionnaire: la psychologie comparative avec ses débats concernant la continuité et le progrès: de Romanes et Thorndike à l’éthologie classique et contemporaine.

Différences individuelles : de Galton à Cloninger.

Message épistémologique : même l’esprit humain est préfiguré. Il est possible de reconstruire une tradition philosophique de Mach, Popper et Dennett, ainsi qu’une tradition qui interprète le bébé comme chercheur, de Baldwin à Tomasello ou Gergely.

Concernant la troisième tradition, la tradition épistémologique, j’essaie de montrer le rôle central de Karl Bühler qui a insisté en 1922 sur la prépondérance des modèles sélectifs à plusieurs niveaux : « Pour moi, dans le Darwinisme, le concept de domaine de jeux est le plus productif. Darwin n’en a connu qu’un seul mais j’en montre trois […]. Ces trois sont : l’instinct, l’habit et l’intellect ».

Un autre aspect favorisé par l’auteur : les théories négligeant les influences sociales. Le livre présente l’école française de l’influence sociale (Tarde, Marcel Mauss, Charles Blondel et Maurice Halbwachs), et les rôles théoriques des débats concernant les relations entre psychologie et sociologie de l’école de Durkheim. Les problèmes issus des débats sur le relativisme au temps de Lévy-Bruhl, du jeune Piaget et de Whorf seraient comparés à la réémergence du problème du relativisme concernant le relativisme linguistique.

événements

12/06/2013 - 09:00 - 14/06/2013 - 18:00

fellows

Sciences du langage et linguistique
Psychologie, psychiatrie et psychanalyse
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