Pour une histoire des bidonvilles au maghreb

auteur

Jim House

date de sortie

01/06/2016

discipline

Histoire moderne

Q. : Votre recherche porte actuellement sur l’histoire des bidonvilles en Algérie et au Maroc. Depuis combien de temps ces bidonvilles existent-ils ?

 

J. House : C’est dans les années 1910 qu’apparaissent les premiers bidonvilles tant en Algérie qu’au Maroc, notamment à Alger et à Casablanca. Leur histoire est donc centenaire, même si le phénomène s’accélère au cours des années 1920 et 1930 et, surtout, après 1945, avec les famines persistantes et la reprise économique qui poussent les habitants de l’intérieur à s’installer dans les grandes villes. Pourtant, ces habitations sont à relier aux autres constructions provisoires qui existaient depuis plus longtemps et qui ont accompagné l’exode rural. Les bidonvilles sont le résultat d’une coproduction assez complexe entre locataires, propriétaires, municipalités, et État colonial. À l’époque coloniale, les migrations internes sont souvent autant de stratégies de survie dans des contextes de déstabilisation profonde des économies et modes de vie provoquée par la colonisation. Lieux de solidarité, les bidonvilles constituent des points de chute pour des nouveaux venus à la ville aux revenus plus que précaires, car les quartiers les plus anciens sont pleins, et les migrants souhaitent résider à proximité de leur lieu de travail. En outre, avant les années 1940, il n’y a pour ainsi dire pas de politique de relogement (sauf pour les ouvriers d’élite à Casablanca logés dans des cités ouvrières) et encore moins de logement social ; d’où la présence de citadins de longue date, dans certains bidonvilles en même temps que ces migrants récents.

 

Les autorités « tolèrent » les bidonvilles, essaient de les contenir, voire les déplacent jusqu’aux banlieues. Ainsi de Casablanca dès les années 1920, ce qui explique la taille beaucoup plus importante des bidonvilles dans cette ville (jusqu’à 40 000 habitants pour Ben M’sik et Carrières centrales – aujourd’hui Hay Mohammadi – à la fin des années 1940) par rapport à ceux d’Alger à la même époque, où le plus grand était probablement celui de Mahieddine (environ 13 000 habitants). Si chaque bidonville avait son propre profil socio-économique et régional, au fil des ans, les concentrations régionales en leur sein - signe au départ de réseaux migratoires hautement structurés - se diluent à cause des densités accrues, des logiques économiques qui priment, et des mobilités des habitants. Aujourd’hui, la plupart des bidonvilles les plus anciens n’existent plus, exception faite d’une petite partie des Carrières centrales à Casablanca : mais des bidonvilles plus récents existent bel et bien, malgré des initiatives sérieuses depuis dix ans dans les deux pays pour les résorber, car les migrations internes n’ont pas cessé, en raison de l’attrait que la ville continue à exercer sur l’intérieur.

 

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Jim House est maître de conférences en histoire à l’université de Leeds (Grande-Bretagne), institution dont il a dirigé le Centre d’études francophones et codirigé le Centre d’études coloniales et postcoloniales. Ses recherches ont trait à l’histoire et à la mémoire des migrations coloniales entre l’Algérie et la France, aux violences coloniales en France, en Algérie et au Maroc et à l’histoire de l’antiracisme en France. Il est l’auteur de Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, coécrit avec Neil MacMaster (Tallandier, 2008 ; édition originale parue chez Oxford University Press, 2006).

fellows

Histoire coloniale et postcoloniale
01/10/2015 - 30/06/2016