Lingua Franca : une langue métisse en Méditerranée

date

Lundi 28 Mars 2011, 14h00

adresse

IEA de Nantes

IEA/MSH, Amphithéâtre Simone Weil,
5 allée Jacques Berque à Nantes

 


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téléphone

+33 (0)2 40 48 30 25
Lingua Franca : une langue métisse en Méditerranée

Conférence de Jocelyne Dakhlia est Directrice d’études à l’EHESS, Centre de Recherches Historiques, Paris

 

Ce que nous entendons aujourd’hui par lingua franca revêt souvent le sens métaphorique d’une langue consensuelle ou d’un « terrain d’entente », d’un lieu où les désaccords s’estompent et où l’on peut parler ensemble. Nous oublions, ce faisant, qu’à la base de ce « lieu commun », il y eut une langue métisse historiquement parlée en Méditerranée, la Lingua Franca méditerranéenne, que l’on peut analyser et décrire jusqu’à sa disparition au milieu du XIXe siècle. Langue du Bourgeois Gentilhomme, référence littéraire, surtout comique, aussi bien que langue du commerce et surtout de la réduction en captivité, nous avons oublié à quel point la langue franque s’imposait alors comme une réalité banale, très présente, et ce dans les domaines les plus divers du rapport avec le « Turc » ou de la représentation de l’altérité islamique.

 

Son histoire, en effet, ne s’énonce pas sous le signe univoque du consensus, mais bien dans un contexte d’extrême tension géopolitique, celui de la guerre de course notamment, entre l’Europe occidentale et la Méditerranée islamique ; une tension analogue à celle que nous connaissons aujourd’hui, tout aussi paradoxale tant les circulations et les échanges s’intensifient parallèlement aux conflits. Il faut donc comprendre et interpréter la production d’une langue commune, révélant toutes formes de continuum culturels et linguistiques d’une rive à l’autre de la Méditerranée, un continuum bien plus important qu’on ne le conçoit de nos jours, mais qui n’aboutit pas, pour autant, à l’élision des lignes de démarcation et de clivage.

 

Bien au contraire, la Lingua franca, comme langue à part et langue par excellence du contact avec l’autre, réaffirme une forme de no man’s land de la communication, un entre-deux ou un espace liminaire, dans le moment même où elle atteste une communauté de langue et de repères. Il s’agit en cela d’un rapport non identitaire à la langue et donc d’une langue qui ne saurait être de « civilisation » ni même de prestige, conception de la langue fort déroutante pour nous aujourd’hui, mais qui nous aide à discuter l’adéquation entre langue et culture que nous établissons si spontanément. En situation d’adversité et de conflit, jusqu’à quel point, en effet, s’autorise-t-on à parler une même langue ? Peut-on concevoir une langue neutre ?

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