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Vous êtes fellow à l’IEA-Paris pour un projet de recherche sur l’évaluation des plans d’urbanisme et des grands projets urbains, et vous travaillez actuellement sur le Grand Paris. Pourquoi avoir choisi ce projet d’extension ?
Je m’intéresse en effet à l’évaluation des relations entre les plans d’urbanisme et les grands projets de transformations urbains (gares, ports, centres commerciaux, aéroports locaux, etc.) et, en particulier, aux relations entre leur stratégies.
Avant tout chose cependant, je voudrais préciser ce que j’entends par « évaluation ». Cette notion revêt divers sens. Dans le langage courant, lorsque nous parlons d’évaluation des grands projets urbains, on entend par cela soit l’évaluation économique du projet (une analyse coûts / bénéfices plus qu’une analyse financière) soit l’évaluation de l’impact du projet sur l’environnement. L’évaluation, comprise en ce sens, revêt une fonction particulière : celle de moyen pour juger objectivement un projet. En ce cas, elle sert avant tout à « certifier » le projet et devient une activité très spécialisée ayant pour but de circonscrire le projet, afin de le contrôler. Dès lors que l’on veut évaluer un projet sous l’angle de la complexité, les procédures standard d’évaluation sont insuffisantes et inadéquates pour le mesurer objectivement, car un grand projet de transformation urbaine est unique, complexe, presque irréversible,
et il comporte des effets symboliques très importants. Il est donc souhaitable d’élaborer une évaluation plus adaptée aux types de projets.
De son côté, l’évaluation des plans d’urbanisme est un exercice qui, dans le meilleur des cas se limite aux aspects environnementaux (des aspects qui sont très importants mais partiels) ; et dans le pire des cas n’existe même pas. Mon approche est différente. Tout d’abord, il convient à mon sens de séparer les aspects de l’évaluation qui servent de garantie au plan ou au projet (certification, contrôle extérieur, etc.) des aspects qui sont liés au processus de décision. Si on parle de ces derniers, on peut définir l’évaluation comme une manière de faire face aux problèmes posés par le plan, qui ne se focalise pas sur les résultats attendus mais intervient en amont, sur le processus de décision associé au plan. L’évaluateur doit être l’âme critique de ce processus de décision. Sa fonction est d’aider à prendre les décisions adaptées ; il doit chercher à comprendre tous les problèmes qui sont à la base du plan ou du projet, prendre en compte les points de vue de tous ceux qui sont impliqués dans ce projet, soupeser le pour et le contre de chaque décision, prévoir les obstacles, souligner les contradictions, etc.
Si on choisit cette méthode pour évaluer un grand projet urbain et ses relations avec le territoire, on comprendra tout à fait mon intérêt pour tout ce qui se passe à Paris actuellement. Le projet du Grand Paris est très important, pas seulement d’un point de vue politique ou économique, mais aussi d’un point
de vue scientifique et culturel. Il s’agit d’un moment particulièrement favorable pour conduire le discours de l’évaluation en urbanistique vers une dimension plus avancée, en harmonie avec l’urbanistique réflexive telle qu’elle a été développée par François Ascher. Beaucoup estiment que l’expérience parisienne aura une importance au niveau européen et marquera la façon de concevoir, de construire et de gouverner les villes pour les années à venir.
Je suis persuadé que ce qui se passera influencera aussi la façon dont l’évaluation sera conduite à l’avenir. Je crois que l’expérience qui se déroule actuellement en France dans l’élaboration du Grand Paris sera un des principaux modèles de référence en Europe pour gouverner la transformation structurelle des nos métropoles. Le but de ma recherche est d’étudier ce qui se passe en ce moment à Paris en ce qui concerne l’utilisation et les applications de l’évaluation associée aux grands projets de transformation urbaine et aux relations avec le schéma directeur.
Quelles sont les principales conclusions que vous tirez de vos recherches ?
Je ne suis pas encore en mesure de tirer des conclusions définitives, mais je peux vous donner les contours de ma réflexion actuelle. Je pense que notre réflexion doit prendre en compte trois éléments.
En premier lieu, les questions politiques semblent primer sur les questions d’ordres techniques, ce qui implique que tant que les décisions n’auront pas été prises au niveau politique, ceux qui travaillent sur l’évaluation du Grand Paris ne pourront pas faire grand chose. Je pense par conséquent qu’il faudrait faire intervenir l’évaluateur en amont de la décision politique.
Ensuite, le Grand Paris est un projet dans lequel on est en train d’élaborer de nouveaux moyens de gouvernance urbaine. En ce qui concerne ma recherche, le processus de décision est intéressant : il n’y a pas un seul point de vue (une alliance politique et sociale, une approche culturelle, etc.) qui fasse l’unanimité, c’est-à-dire qui jouisse d’un fort consensus politique, social, culturel ou économique.
À ce stade de l’opération, tous les points de vue, même contradictoires ou conflictuels, coexistent. On peut penser que la stratégie qui sera choisie pour le Grand Paris n’existe pas encore, mais à mon sens elle sera le résultat soit de compromis et de négociations sociales, soit de l’évolution de la situation au niveau de la globalisation. Le projet du Grand Paris n’est donc pas abouti, et chaque nouvelle proposition a pour fonction de poser des jalons pour le projet final. C’est un processus bien connu dans la théorie des décisions : le fait même de l’existence du plan modifie la réalité (les attentes, les intentions, les espoirs, et même l’interprétation de cette réalité, vont changer).
Enfin, je pense que ce projet est favorable à l’évaluation (dans le sens susdit), car, dans cette phase du processus de décisions collectives, l’attention se concentre surtout sur l’identification des problèmes et sur la capacité de construire des échelles stables de priorités parmi celles qui ont été identifiées. Il faut donc évaluer les implications politiques, économiques, sociales, environnementales et institutionnelles des différentes hypothèses sur le terrain, juger de leur réalisme, et prévoir dès aujourd’hui le processus d’élaboration, ainsi que les risques que nous allons probablement rencontrer. Dans cette phase, l’évaluation a un rôle maïeutique parce que sa fonction prédominante n’est pas seulement d’aider à choisir parmi les différents parcours décisionnels possibles, mais aussi à donner un sens aux événements et aux comportements. Malheureusement, l’évaluation concernant les choix possibles n’entre pas dans le débat.
Que vous a apporté le fait de résider à l’IEA-Paris ?
Sans le soutien de l’IEA-Paris je n’aurais pas pu faire cette recherche. L’IEA m’a offert des conditions exceptionnelles : la possibilité de résider dans le lieu même où se déroulait en temps réel la matière de ma recherche ; les contacts et les liaisons que m’ont donné les membres de l’IEA-Paris, notamment les chercheurs impliqués dans le programme « Paris - Métropoles en miroir ».
Vincenzo Bentivegna, fellow à l’IEA-Paris, est professeur d’« Évaluation économique des plans d’urbanisme et des projets d’architecture » à la faculté d’architecture de l’université de Florence (Italie), Vincenzo Bentivegna a effectué un premier séjour à l’IEA-Paris de février à mai 2010, et un second de septembre à octobre 2010.