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Dans quelle mesure et de quelle manière pensez-vous que les nanotechnologies vont révolutionner notre futur ?
Les nanotechnologies vont jouer un rôle essentiel dans un certain nombre de domaines clés, tels que les technologies de l’information, mais aussi la médecine, l’énergie et l’environnement. Du point de vue énergétique, le faible coût de cellules photovoltaïques efficaces, d’accumulateurs de grande taille qui chargent rapidement, sans perte de charge, et fournissent beaucoup d’énergie, mais aussi de supercondensateurs essentiels aux véhicules électriques, vont nous permettre de réduire notre consommation de combustibles fossiles. Les nanotechnologies sont indispensables aux piles à combustibles perfectionnées et aux catalyseurs grâce auxquels nous créerons des biocarburants dans le respect de l’environnement. De façon plus générale, la production à basse température de nouveaux matériaux va aussi réduire notre consommation de pétrole.
Il y a par ailleurs toute une série de nouvelles avancées nanotechnologiques qui vont révolutionner la médecine, tant dans l’exercice du diagnostic que du point de vue du traitement. Citons par exemple des nanovaisseaux à ciblage complexe pour la chimiothérapie et la thérapie génique, les nouveaux biodétecteurs pour détecter les maladies comme le cancer, ou d’autres progrès dans les systèmes qui feront qu’un jour la chirurgie constituera une intervention de dernier recours.
Quels sont les challenges interdisciplinaires en aval des progrès nanotechnologiques ?
Depuis un certain nombre d’années déjà, nous menons des projets de recherche mêlant chimie, ingénierie, physique, médecine ; et les métadisciplines se multiplient, à l’image de la nanomédecine. Néanmoins, le pont entre sciences dures, art et sciences humaines représente toujours un challenge sur lequel nous devons nous pencher sérieusement. Plus particulièrement, l’existence de la technologie, à fort impact sociétal et indissociable de la culture, doit être traduite dans les domaines des arts et de la science, domaines connectés par la créativité et l’imagination. Il est en effet primordial d’intégrer arts et sciences humaines aux nanotechnologies afin d’être en mesure de proposer un débat informé et responsable sur les technologies qui peuvent transformer la société et la culture.
Ce questionnement ne peut être laissé aux seules disciplines traditionnelles et leur compartimentation classique. La nanotechnologie est actuellement une question éminemment politique et la prise de conscience publique est plutôt faible. De nombreuses mesures peuvent être prises pour éviter le type de réactions apparues avec la nourriture génétiquement modifiée ou les effrayantes histoires de gelée grise1. Nous pouvons fournir une information accessible au plus grand nombre, organiser des expositions mêlant art et science, des débats publics, et nous pouvons aussi rassembler des leaders intellectuels de différentes disciplines pour les inviter à débattre et à concevoir des cadres de référence viables.
Quel est votre projet à l’IMéRA de Marseille ?
Il s’agit d’un projet de recherche collaborative, nommé Intelligence Interfaciale (I.I.) et basé sur l’exploration de la mise en commun des esprits (collectifs2) des artistes, des musiciens, des philosophes, des économistes, des médecins, des chercheurs en sciences dures et en sciences humaines. Le but est de sonder leurs intelligences physiques dans leur relation au groupe et à l’individu. L’objectif est le suivant : la nanotechnologie va bientôt rendre possible la création de machines douées d’intelligence ; de nombreux pays et institutions s’impliquent en ce sens. Cela nécessite d’atteindre les souches mêmes de l’intelligence et d’examiner les résultats utopiques et dystopiques de « l’intelligence interfaciale » (terme que j’ai d’ailleurs inventé au début de ma résidence). Ce débat contribuera à déterminer si l’I.I. peut être un facteur de changement amenant notre société à une plus forte prise de conscience, et nous protégeant de tout abus qui réduirait nos capacités intellectuelles jusqu’à nous mettre au service de machines ou d’entreprises. En approfondissant cette question, nous développerons un modèle d’intelligence construit à partir d’un large spectre de descriptions de l’intelligence allant des sciences humaines aux mathématiques jusqu’à celle de l’atome, du rôle de la production de l’entropie dans les systèmes ouverts, de ceux des environnements cycliques et de la porosité, y compris dans l’émotion et l’amour humains.
Depuis mon arrivée à l’IMéRA, mon regard sur la technologie a d’ores et déjà changé : les conversations que nous avons ici m’ont amené à réaliser que les interfaces homme / machine sont une question clé. Elles se situent dans le « pipeline » de Von Neumann et dans l’haptique et le sensoriel. Chacun est étroitement lié et connecté à l’autre et ces interfaces connectent ainsi les hommes de manière globale à travers les différents réseaux et systèmes de communication.
En tant que chercheur reconnu sur le plan international, qu’attendez-vous de votre résidence à l’IMéRA ?
L’IMéRA est une plateforme exceptionnelle d’interaction avec une large variété de penseurs visionnaires de renom qui partagent un intérêt véritable pour le processus méta-disciplinaire. Ce processus est essentiel à la construction d’une approche nouvelle des aspects intellectuels, technologiques et éphémères de l’humanité au xxie siècle. Les xixe et xxe siècles ont été caractérisés par une « pensée verticale » qui utilisait la spécialisation et l’analyse sur la base de méthodologies réductionnistes bien définies. La nanotechnologie, l’accès à l’information sur Internet et les problèmes des interfaces sociales, économiques, technologiques, culturelles et esthétiques signifient que nous devons incorporer science et technologie à un environnement de « pensée latérale » qui intègre la « pensée verticale » mais dépasse le processus de « pensée limitée » pour atteindre de nouveaux domaines de créativité, d’imagination et d’innovation. Les limites de la pensée verticale représentent aujourd’hui un goulot d’étranglement pour nos approches de l’économie, de la société, de l’énergie, de la technologie etc… Les artistes sont peut-être des exemples de « penseurs latéraux » efficaces et jouent un rôle particulier dans ce processus dans la mesure où ils peuvent étendre leur pensée au monde « des possibles scientifiques » de façon à concevoir un nouveau monde qui sera aussi matériel que virtuel puisqu’il sera invisible bien qu’omniprésent.
Ce « meilleur des nanomondes » n’est pas une éventualité, c’est une machine en marche qui ne peut être stoppée. Il est donc essentiel d’avoir une institution comme l’IMéRA pour aborder ces questions et je suis ravi d’être entouré de philosophes, d’artistes, de musiciens, de neurologues, etc., qui partagent une vision commune et abattent les barrières disciplinaires classiques. Les technologies d’aujourd’hui peuvent nous offrir cette opportunité unique, et l’atmosphère et l’environnement particulier de l’IMéRA me permettent d’accéder à une nouvelle dimension de l’utilisation de la connaissance.
James Gimzewski, fellow à l'IMéRA de Marseille est un chimiste et spécialiste internationalement reconnu des nanotechnologies. Professeur à l’université de Californie de Los Angeles (UCLA) et membre du California NanoSystems Institute, James Gimzewski a été en résidence à l’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées de septembre à novembre 2009 puis à l’automne 2010.