Paris, métropoles en miroir

date de sortie

01/08/2012

discipline

Études urbaines et architecturales

Parmi les questionnements que le programme « Paris, métropoles en miroir » a suscités, l’un des plus troublants concerne la difficulté actuelle d’appréhender le phénomène métropolitain par une approche de projet partagée par les différentes disciplines, compétences, savoirs et métiers de l’urbain, au-delà de la dimension esthétique et marchande que l’on prête trop souvent aux images et aux dessins. Le fait de percevoir le projet comme un travail démiurgique à la valeur marchande nuit non seulement à la force d’un métier, celui des architectes, urbanistes, ou paysagistes, mais aussi à toute tentative d’en définir le sens dans son utilité sociale à l’intérieur d’un dispositif complexe d’acteurs. Le questionnement sur la valeur d’un savoir et d’une compétence spécifiques relève de la philosophie et de l’histoire politique. On sait depuis longtemps que la représentation de l’espace révèle l’état et les attentes d’une civilisation, et, parfois, les utopies relatives à son expression. Si on admet donc que la forme urbaine représente l’état ou un projet de civilisation, la question qui se pose est la suivante : quelle civilisation préfigure aujourd’hui les projets métropolitains des architectes-urbanistes-paysagistes ? S’agit-il de formes de figuration différentes de la civilisation urbaine actuelle ou bien d’espaces différents qui préfigurent de nouveaux systèmes de civilisation ? Ainsi, dans le travail de préfiguration apparaît cette vieille distinction entre « dessin et dessein » : dans chaque dessin se niche un dessein, lequel peut être implicite ou explicite, conscient ou inconscient, pragmatique ou « utopique ». De même, il peut suivre un modèle, être modélisable, ou encore prétendre être sans modèle. Par valeur de préfiguration d’un projet, on entend donc non pas sa capacité à être matériellement réalisé, mais le fait que cette valeur s’inscrit dans l’ensemble des valeurs, ou système de valeurs qui est le nôtre, celui de la démocratie, de la liberté, de l’égalité. Aujourd’hui, face aux difficultés à saisir les problématiques métropolitaines dans toute leur complexité, le rapport entre politique et culture de la fabrique de l’espace est d’autant plus exacerbé. La question des valeurs partagées, de la traduction de ces valeurs en forme urbaine, de la mise en dialogue des compétences, de la capacité à innover et à préfigurer l’espace à travers un dess(e)in, constitue un problème réel que les débats contradictoires de nos ateliers ont mis en évidence. L’objectif de ce recueil est de mettre en miroir différents savoirs et approches disciplinaires pouvant toutes interagir dans le travail de conception pour explorer la question suivante : pour quelle civilisation urbaine œuvrons-nous ? Si nous vivons un moment où la politique instrumentalise le travail sur le projet, avec, souvent, la complicité des projeteurs, il devient essentiel de montrer à partir de quelle « vision du monde » les différents acteurs appréhendent les échelles de la métropole et comment différents métiers participent autant à un projet de société qu’à un projet spatial. Les trois parties de ce recueil correspondent à trois façons d’appréhender la grande échelle : 1. au travers de différentes approches disciplinaires, de leurs notions et objets ; 2. par le regard sur un territoire spécifique, celui de la métropole parisienne ; 3. par le portrait de différentes situations métropolitaines. Le but est de trouver des moyens pour rapprocher le monde politique et le monde culturel, pour trouver des passerelles possibles entre regards, savoirs, savoirfaire et modes d’action.

 

Approches et objets de la dimension métropolitaine Images et notions abstraites

La dimension métropolitaine peut, tout d’abord, être saisie au travers des images mythiques fondatrices du modèle de la métropole et qui permettent de décrire deux positions antithétiques présentes dans la politique de développement des grandes villes actuelles. Ce sont les images d’Athènes, ville-cité qui, au nom de la démocratie, crée et domine un réseau de cités, et de Rome, ville au centre d’un empire et dominatrice des cités assujetties. La première image renvoie à l’idéologie qui met en avant une solidarité supposée entre les villes et à l’intérieur des villes, entre les territoires. La deuxième, résume l’attitude liée à la compétitivité et à la mise en concurrence des différents centres urbains. Aujourd’hui, la recherche d’un modèle de métropole emblématique et exemplaire dans son unité, tel que représenté par ces deux cités de l’Antiquité mais aussi par les grandes villes capitales du xixe siècle, laisse la place à la diversité et à la divergence. Divergence dans la mise en forme des territoires, divergence dans leur administration, dans la structuration de leurs formes d’économie et dans la distribution de la population. Cette divergence pourrait être pour les villes une richesse si elles se donnent les moyens de la saisir et de la valoriser, mais peut conduire à des catastrophes si les logiques de la concurrence et du libéralisme l’emportent.

 

Depuis le début du xxe siècle, les images abstraites utilisées par les urbanistes dans leurs projets à la grande échelle montrent une mise en rapport d’objets physiques et immatériels. Cette mise en rapport s’appuie à la fois sur la notion de « hiérarchie » – entre valeurs économiques, sociales et culturelles – et sur la notion de « cohabitation » – entre groupes et individus – permettant à la grande ville différentes formes de vivre ensemble. La notion de « configuration », quant à elle, permet de travailler les objets dans l’espace en vue d’atteindre une stabilité entre mouvements, flux et relations tendanciellement instables. Les images et néologismes récents relatifs aux territoires métropolitains témoignent de l’état de confusion face aux nouveaux phénomènes d’urbanisation. La métropole semble ne plus pouvoir être planifiée dans sa dimension globale et devient une ville indéfinie et indéfinissable qui ne vit qu’au travers de sa mutation accélérée, incontrôlée et incontrôlable.

 

La dimension métropolitaine peut cependant aussi être décrite au travers d’une synecdoque, celle qui permet à l’espace public de devenir la figure de substitution de la grande échelle. La dimension métropolitaine est ainsi considérée à la fois dans ce qu’elle offre de matériel, physique, spatial, et dans l’une de ses dimensions immatérielles, celle de l’exercice, dans l’espace, du pouvoir et des droits et devoirs du citoyen. Décrite comme une « hyperville », dominée par des logiques de réseaux, la métropole contemporaine n’est cependant pas à comprendre suivant l’idée de « chaos urbain » qui évacue la question politique. Le projet de l’espace public nie trop souvent la complexité de la ville et du territoire. Les notions de limite, fragmentation, séquence, mixité fonctionnelle, qui ont été opératoires pour les espaces de la ville consolidée devraient se renouveler et s’adapter pour traiter les territoires métropolitains « metamodernes », disloqués.

 

Infrastructures

Parmi les différents objets constitutifs du territoire métropolitain, l’attention ne peut pas ne pas se focaliser sur un élément qui, depuis presque un siècle, le parcourt physiquement de long en large : les infrastructures liées au transport. Omniprésentes notamment sur les territoires des franges urbaines, celles-ci ne répondent plus de façon satisfaisante aux exigences de mobilité, de communication et de capillarité des tissus des métropoles contemporaines. Quel sera donc le rôle des nouvelles infrastructures du xxie siècle ? Et comment pourraient-elles répondre aux nécessités de communication matérielles et immatérielles ? On sait que la qualité de vie mais aussi le développement économique d’une métropole dépendent fortement de la qualité des infrastructures qui la relient au monde et l’innervent localement. Certains économistes des transports appréhendent cette qualité à travers la notion d’accessibilité. L’accessibilité au territoire national ou continental des métropoles augmente l’emploi en le concentrant, concentration qui à son tour rejaillit sur la qualité de l’accessibilité interne aux emplois en fonction des infrastructures locales de transport et de leur développement. Afin d’estimer la contribution réelle de l’accessibilité au développement d’un territoire, ils produisent des modèles fondés sur des indicateurs géostatistiques qui expliquent les variations locales d’emploi et permettent d’évaluer l’impact des infrastructures de transports sur l’économie des collectivités touchées. Jusqu’à quel point l’étalement urbain menace-t-il la performance économique des métropoles ? Les métropoles peuvent-elles fonctionner comme des myriades de sous-bassins d’emploi? À quel prix pour la croissance et l’emploi régional ?

L’ouvrage Paris, Métropoles en miroir. Stratégies urbaines en Île-de-France, Cristina Mazzoni et Yannis Tsiomis (dir.), La Découverte, Paris, 2012, est composé d’articles issus des tables rondes et séminaires organisés par l’IEA de Paris dans son programme « Paris, métropoles en miroir. L’Île-de-France comme région métropolitaine » (2008-2010). De grandes images du territoire métropolitain montrent Paris sous des angles peu connus. Avec notamment les contributions des résidents de l’IEA de Paris : Carola Hein, Dieter Läpple et Cristiana Mazzoni.

newsletter

01/04/2012 - 31/08/2012

institut

01/01/2008
01/02/2011