Le Collegium de Lyon

auteur

Gilles Pollet

date de sortie

01/09/2009

Quelle place le Collegium de Lyon envisage-t-il d’accorder à la recherche sur les politiques publiques dans ses invitations scientifiques ?

 

La thématique de construction et de diffusion des savoirs pour l’action publique a été placée au coeur du projet du Collegium pour trois raisons principales. En premier lieu, il y a un réel potentiel de recherche sur le site de Lyon qui rassemble des forces scientifiques très significatives dans les domaines de la science politique, de la sociologie, de l’histoire des sciences, de l’économie et des sciences du gouvernement. Ensuite, la relation entre SHS et sciences exactes et du vivant est particulièrement présente, notamment en articulation avec les points forts du pôle de recherche et d’innovation lyonnais et rhônalpin (santé, biosciences, infectiologie, nanotechnologies).

 

À titre d’exemples, les questions relatives à la dimension sociétale de la biomédecine (premier pôle industriel français) ou des nanotechnologies (important pôle français à Grenoble), de la gestion sociétale des risques industriels (proximité du Couloir de la chimie) et, plus généralement, de la relation de la science au citoyen, constituent des thèmes de croisement très féconds avec les sciences sociales. Enfin, la thématique de construction et de diffusion des savoirs pour l’action publique recoupe le fort intérêt partagé par la communauté scientifique et les collectivités territoriales pour les relations entre recherche fondamentale et expertise.

 

Le Collegium a souhaité tirer parti de la combinaison exceptionnelle de ces trois éléments de contexte régional et scientifique et faire fructifier ce potentiel très important de façon à ce qu’il constitue la colonne vertébrale de l’IEA autour de l’interface entre savoir et action publique. Trois axes sont plus particulièrement développés : l’histoire et la sociologie des sciences de gouvernement (comment sont-elles nées ? Comment sont-elles diffusées et traduites ? Comment un modèle s’impose t-il ?), l’évaluation (les modes, les techniques, le marché de l’évaluation) et l’expertise (qu’est ce qu’un expert ? Comment fonde-t-on une expertise ? Qu’est-ce que le gouvernant attend d’un expert ?). Ces différents axes sont croisés à des questions thématiques spécifiques et envisagés dans une ouverture internationale.

 

Dans quelle mesure le Collegium de Lyon peut-il contribuer à développer l’influence des connaissances en sciences sociales sur les politiques publiques ?

 

Notre souci est de mettre en évidence que les professionnels qui ont la meilleure expertise appliquée sont aussi ceux qui ont une très bonne maîtrise académique. Dans la discipline des politiques publiques, ceux qui sont capables d’effectuer une aide à la décision de qualité sont aussi ceux qui peuvent réaliser de la bonne analyse de la complexité des situations. Une trop grande segmentation entre recherche et expertise n’est pas productive.

 

Je rappelle qu’il existe une « école de pensée » lyonnaise relative à l’analyse de l’action publique qui privilégie l’analyse dans le temps et l’espace, l’analyse socio-historique, l’enquête sur le terrain, l’analyse du micro et du méso. Il ne s’agit en aucun cas de créer une opposition entre ces types d’analyse et l’analyse modélisée et quantitative. Néanmoins, on constate, dans la formulation des politiques publiques, un retour d’appréciation pour une analyse moins mécaniste et plus contextualisée. Dépasser cette relation dichotomique constitue un axe important pour le développement des activités du Collegium.

 

La démarche du Collegium n’est donc pas seulement d’inviter des chercheurs sur l’analyse des politiques publiques relevant de différentes disciplines (science politique, sociologie, économie, droit) mais également des théoriciens de la prise de décision publique et des praticiens provenant de différents horizons. L’approche est de cibler des invitations croisées, y compris en direction des praticiens de la formation, des administrateurs publics et des fonctionnaires européens (École de Bruges, École d’administration publique de Maastricht…) ou internationaux (Kennedy School of Government, Tufts University…) ainsi que des experts de la prise de décision et de la planification stratégique en matière de santé publique, de technologies ou d’urbanisme.

 

L’interaction entre la recherche en sciences sociales et les savoirs relatifs à l’expertise et à l’évaluation qualitative et quantitative est un enjeu important. L’objectif du Collegium est de créer des communautés de savoir et de compétence entre théoriciens, modélisateurs, experts, praticiens de différents horizons disciplinaires, professionnels et géographiques afin de leur permettre d’engager un échange fécond au cours de leur résidence en lien avec l’environnement scientifique rhônalpin, français et européen. À ce titre, des collaborations avec d’autres IEA français ou européens traitant de problématiques similaires pourraient être développées.

 

Quelles sont les synergies susceptibles de se développer sur le site de Lyon ?

 

Le contexte actuel est extrêmement propice. L’intérêt manifesté par les collectivités territoriales (pour les questions relatives à l’urbain ou à la métropolisation, notamment Grand Lyon et le programme de la Région Rhône Alpes « Enjeux et représentation de la science et de la technologie et de leurs usages »), la création du Pôle de Recherche d’Enseignement Supérieur (PRES) de Lyon, la fusion entre les deux Écoles normales supérieures (sciences et lettres et sciences humaines) représentent des possibilités importantes de collaboration pour le Collegium.

 

Le futur développement d’un campus de renommée mondiale consacré aux formations et recherches situées à l’interface des biosciences et des SHS (le campus Charles Mérieux sur le site de Lyon Gerland, soit à proximité des ENS de l’IEP et du Collegium) va créer une formidable dynamique. Dans le cadre de ce campus, la création d’un grand centre de recherches avancées est envisagée afin d’aborder les questions pluridisciplinaires telles que la place de l’image et de l’imagerie scientifique, des territoires et des villes ainsi que le débat public et sociétal sur l’innovation scientifique.

 

Le Collegium devra s’insérer dans ce riche tissu en favorisant le séjour de chercheurs étrangers de haut niveau, leur mise en relation avec les chercheurs du site lyonnais et la création d’une dynamique interdisciplinaire au croisement des sciences sociales et des sciences dures. Ainsi, dans la phase de développement de ces nouvelles institutions, le Collegium pourra jouer un rôle stimulant d’incubateur d’idées nouvelles et de réflexions innovantes.

Gilles Pollet est directeur de l’Institut d’Études Politiques de Lyon, membre du bureau du Collegium de Lyon et du conseil d’administration du RFIEA. Ses domaines de recherche concernent, entre autres, l’analyse des politiques publiques, la constitution des
« États-providence » et la production des savoirs de gouvernement. Il a contribué à de nombreux ouvrages collectifs sur ce thème.