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Le dossier sur le droit constitué pour ce numéro de Perspectives est une illustration des potentialités pour la recherche offertes par les IEA. Rien mieux que le droit ne pouvait illustrer la force innovante de ces structures. Le droit est un objet difficile pour la recherche, non seulement parce que le droit était pensé en seule référence au territoire de l’État-nation d’où il était issu, mais aussi parce que son problème est d’être une pratique qui a longtemps prétendu à elle seule dire la vérité sur elle-même. Or une telle autarcisation de la pensée juridique n’est plus possible. Les transformations du statut du droit dans la régulation des sociétés, la relativisation de l’État-nation, les caractéristiques de la globalisation exigeant de regarder au-delà du monde occidental sont autant de facteurs agissant sur la fonction du droit dans les sociétés.
C’est bien ce nouveau contexte qui explique l’extraordinaire effervescence de la recherche sur le juridique au niveau international. Elle ne cesse de relativiser une représentation du droit, promue de façon exclusive, comme relevant d’une logique top down. Cela suppose d’observer les multiples façons dont les acteurs sociaux s’en saisissent, non seulement les opérateurs économiques mais également les citoyens, éventuellement dans le cadre de mobilisations collectives via des mouvements sociaux ; les multiples façons dont la justice est investie par des forces sociales ou inscrite dans des logiques politiques de telle sorte qu’il puisse être question, dans le cadre du constat d’une « judiciarisation du politique », d’un modèle triadique de gouvernance se substituant à un modèle dyadique où n’existait que l’Éxécutif et le Législatif. Ce changement de vision du droit implique une mobilisation conjointe de différentes sciences sociales susceptible de rompre avec une approche transcendantale. Le droit doit être rapporté aux sociétés, à leur culture, aux forces sociales qui les animent et ceci dans leur diversité universelle jusqu’à considérer, comme le fait le courant théorique du legal consciousness, qu’à l’idée de relation causale entre droit et société il convient de substituer celle d’une sorte d’indissociabilité entre les deux, celle d’un droit dans la société.
Les contributions à ce dossier offrent certaines déclinaisons de cette révolution paradigmatique. La question de la sécurité alimentaire en Chine illustre l’intérêt croissant porté à de nouvelles formes de mobilisation du droit par des acteurs citoyens et des attentes en la matière de constitution de formes organisées de recours. L’analyse de la jurisprudence concernant le statut du travailleur en Corée du Sud donne sens à ce que peuvent être les stratégies d’usages du judiciaire. Les contributions sur le droit européen, sur la Constitution indienne ou encore sur la justice transitionnelle en Afrique suggèrent, en lieu et place de la représentation d’une unité du droit, des tensions, par exemple entre la recherche de droits autour de valeurs morales (la reconnaissance, la dignité, l’identité) et celle autour des inégalités sociales et économiques, entre le law in books et le law in action, entre le droit et les droits, de l’exigence de prise en compte de formes de justice ancrées dans la tradition et les cultures locales. De même, une comparaison entre l’Occident et l’Asie du Sud-Est suggère un enrichissement des représentations portant sur l’économie des relations entre droit colonial et droit coutumier.
Dans ce contexte de bouleversement de la réalité du droit et des manières de l’observer scientifiquement, le présent dossier illustre deux des principes au fondement des IEA : l’exigence d’une internationalisation de la recherche libérée de l’occidentalo-centrisme et ouvrant des perspectives de comparaison de telle sorte qu’il est alors possible de concevoir le monde comme un « laboratoire » où l’on fait varier les variables ; l’intérêt d’une large pluridisciplinarité permettant de rompre avec des approches « juridistes » ignorant les cadres sociaux, culturels, politiques dans lesquels le droit agit ou le droit est agi.
Il est significatif que l’initiative de ce dossier ait été prise au niveau du RFIEA, ce qui montre la force particulière que représente la mise en valeur des politiques scientifiques des IEA et les potentialités de transversalisations que porte l’existence d’un tel réseau en matière de diffusion internationale de la connaissance. Ce numéro de Perspectives constitue une illustration des mérites du dispositif IEA-RFIEA et que la récente obtention du label Laboratoire d’excellence et des moyens afférents doit permettre de développer.