Confreries soufies

auteur

Mamadou Diouf

date de sortie

02/12/2013

discipline

Histoire moderne

 

Les Confréries Soufies et l’Administration du Pluralisme Religieux au Sénégal

 

 

Mamadou Diouf

 

Les prédictions dominantes du 19ème et du début 20ème siècle qui avaient annoncé que le déclin continu et irréversible des religions grâce à la science, au développement, au progrès économique et social, allant de pair avec les avancées de la démocratie, de la tolérance, du dialogue et du pluralisme, solidement soutenus et vigoureusement alimentés par la laïcité, allaient ouvrir une nouvelle ère à l’humanité tout entière, ne se sont pas réalisées.

 

Au contraire, comme l’indique avec une ironie non feinte, Ashis Nandy, « beaucoup d’oraisons funèbres annonçaient  l’enterrement définitif des religions dès le début du XIXème.  Les idéologies laïques triomphaient les unes après les autres. Des victoires suivies de déclins continus ou de chutes abjectes. La religion réapparait à la fin de ce que l’on pourrait appeler l’âge des idéologies, non pas dans son incarnation ancienne mais avec les empreintes et parfois les habits de l’âge des idéologies laïques.  A l’aube du XXIème siècle, la religion prend son envol comme le phénix  qui se jaillit de ses cendres et les portent comme le signe de son nouveau triomphe. »[1].

 

Pendant des années, l’étude des relations entre le pouvoir politique et le pouvoir maraboutique à plutôt privilégié une perspective théorique et empirique qui dévoile les infrastructures et les mécanismes qui articulent les deux sphères, ce livre juxtapose des approches théoriques et méthodologiques divergentes, dans un souci de suivre à la trace les contours du débat relatif à la place de la politique dans l’espace public. 

 

Le présente réflexion[2] a pour ambition de suivre la piste des transformations du contrat social sénégalais sur une longue période, en insistant sur les processus de réadaptations, de révision d’une part, et d’autre part les crises qui le secouent depuis le départ de Senghor, la difficile construction du pouvoir de Diouf et le changement de régime survenu en 2000, avec l’élection de Abdoulaye Wade a la tête de l’État sénégalais, et sa réélection en 2007, suivie de la victoire de son parti, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) aux élections législatives de 2001 et 2007.

 

Le Soufisme: un antidote a l’islam politique

Dans le nouvel environnement fortement marqué par la présence de la religion, en particulier musulmane, dans le champ politique, les expressions visuelles, les infrastructures et les lieux saints du soufisme sont aujourd’hui convoqués pour contrecarrer la montée de l’Islam politique. Ce détour signe un paradoxe qui loge très précisément dans le renforcement de la présence d’une certaine forme de religiosité dans l’espace public pour enraciner le respect du pluralisme, favoriser le développement d’une société ouverte[3], et inscrire la démocratie dans le paysage social. Dans des situations comme celle du Sénégal, on essaie de comprendre les dynamiques politiques et religieuses et les échanges ou assimilations réciproques des élites aux légitimités différentes qui ont si fortement contribué à la success story sénégalaise. Une histoire qui a produit le contrat social qui lie, depuis la période coloniale, les autorités religieuses et politiques. Pourquoi les marabouts confrériques ont-ils été capables d’offrir à l’État et aux élites politiques des formules et des formes de vernacularisation des discours et des pratiques politiques ? Pourquoi le recours/retour au soufisme est-il une réponse à la mobilisation inspirée par l’Islam politique ? Quel enseignement peut-on tirer d’une restauration des organisations, des pratiques et de la spiritualité Soufie, construites comme une réponse à la montée des intégrismes religieux dans une société à majorité musulmane? Du Pakistan, à l’Algérie et au Sénégal, sont mises à l’épreuve des formules qui tentent de remettre sur pied des associations Soufies qui ont été démantelées dans les processus de construction d’États-nations modernes, comme ce fut le cas de l’Égypte, de l’Algérie et de la Tunisie qui aujourd’hui font face à l’Islam politique[4].

 

Zidane Meriboute, l’auteur le plus engagé dans cette entreprise de modernisation de l’Islam, oppose la tradition Soufie, « libérale, rationnelle, éclairée et tolérante » à l’Islam fondamentaliste (fundamentalist Islam) dont il serait l’antidote parce qu’il dispose d’une prose, d’une grammaire et de pratiques modernes. Il représente la voie la plus sûre pour faciliter l’entrée des sociétés musulmanes dans le temps du monde si l’on suit l’histoire de son parcours doctrinaire, « from the work of some of the most brilliant Muslim thinkers of the Middle Ages and from the Sufis. Such men included Ibn Rusch (Avorroes), Ibn Sina (Avicenna), sal Khawarizwi, Al-Hallaj, Ibn Al-Arabi and rumi. Centuries later, Jamal Ad-Din Al Afghani,and Muhammad Abduh followed on from their work. Contemporary thinkers such as Egypt’s Abdullah Badawi and Mohammed Al-Jabri in Morocco continue to play their part. It continues to be the only way Islam will be able to coexist with the West. Neither orthodox theologians, nor Muslim politicians, however, have yet come to terms with these reformers and unconventional mystics whose activities tend to destabilize dogmatic Islam[5]. Par contre, poursuit-il, analysant la situation actuelle, “[I]n much of of North Africa, Eurasia and Africa proper, religious fundamentalism and Sufi coexist, either in uneasy cohabitation or outright conflict. In some countries, such as Algeria, Tunisia and Turkey, for historical reasons, that have never been fully examined, there has been hiostility to Sufi orders. The results were soon to be seen. The vacuum left by the withdrawal of the Sufis was swiftly filled by other expressions of Islam, often of the most hard-line Islamist variety[6]. Il montre comment le recours prépondérant à un “western-style nationalism, based on modernizing liberalism[7] a légitimé les attaques frontales et destructrices contre les organisations Sufi. Au démantèlement des confréries Soufies qui a profité à l’Islam radical, Meriboute oppose trois événements: la restauration des associations Soufies en Egypte par Nasser, au début des années 1950[8] ; la participation active du président algérien Abdel Aziz Bouteflika à la revitalisation des activités charitables et sociales des zawiyas pour qu’elles servent de « bulwarks against fundamentalism... calling upon them to correct false ideas about Islam and to inform public opinion, and particularly that of the young people, about sufism as they practice it »[9], et enfin, la position des régimes nationalistes africains « that emerged from the from the process of decolonization [that] have refrained from allowing themselves to be persuaded by the traditionalist ulema to try to stamp out the brotherhoods, as was the case under President Bourguiba in Tunisia, and Boumedienne in Algeria. The unintended consequences of Boumedienne’s policies were to complete the work begun by sheikh Ben Badis who had persecuted bastions of liberal Sufism in Algeria which could have been ramparts against religious extremism »[10].

 

Pour le cas sénégalais, un pays africain – pris en sandwich entre « l’Islam et l’Occident » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Sheldon Gellar[11] - le défi représenté par la montée de « l’intégrisme religieux islamique » est relevé en recourant à une forme spécifique de formation sociale religieuse Islamique portée par la tradition Soufie. La coopération entre le pouvoir politique et les autorités maraboutiques Soufis est considérée comme le bouclier qui a assuré la stabilité politique, dans un environnement africain marqué par les coups d’États militaires, les guerres civiles et les conflits ethniques. Cette singularité en Afrique– l’exception sénégalaise - a été qualifiée de « quite remarkable success story »[12], de construction réussie d’une démocratie libérale par Robert Fatton[13], de quasi-démocratie[14] ou de démocratie inachevée[15].

 

Pourtant la combinaison des rudes coups portés au Soufisme dans les pays du Moyen-Orient et en Asie, les assauts des partisans de la laïcité et la montée de l’islam politique, semblaient annoncer le déclin irrémédiable de la tradition Soufie si l’on suit les conclusions des études des spécialistes en sciences sociales et les avis des observateurs de la scène politique de l’Afrique au sud du Sahara. C’est, par exemple, le cas de l’historien britannique J. S. Trimingham qui conclut son examen de l’influence de la religion musulmane en insistant sur « the weakening of the Sufi spirit » pris en tenailles entre l’Islam politique et la laïcité dont l'irrésistible progression et l’hégémonie caractérisent l’époque moderne[16]. Une conclusion partagée par E. E. Rosander qui trace une frontière étanche entre « African Islam » et « Islam in Africa »[17]. Selon elle, le premier se présente comme un Islam dont les formes indigènes (contextualized) et locales (localized) assurent la qualité africaine. Flexible aux plans culturels et religieux, il s’accommode des autres spiritualités. Par contre, le second, qui s’est lancé à l’assaut du premier qui, selon Rosander, amorce un retrait de plus en plus significatif, s’est assigné deux missions : purifier l’Islam et le débarrasser des impuretés indigènes et occidentales[18]. Même s’ils ne redoutent pas un recul significatif de l’influence Soufie dans la société et l’arène politique sénégalaises, C. Coulon et D. Cruise O’Brien observent, malgré les dénégations du Président Abdou Diouf qui conteste l’existence d’un péril islamiste au Sénégal que,: « to stay just a few days in Dakar is to realize that the tranquil and moderate Islam which has long prevailed in this country is now in question. One finds in Senegal the atmosphere of Islamic agitation which marked the early years of colonial rule, a period when the economic, social, and political upheavals introduced by the European presence produced large scale religious movements as gave birth, for example, to the Mouridism of Amadu Bamba ». Poursuivant leurs réflexions qui portent sur la longue durée des figures changeantes des relations entre l’État et les confréries, de l’amélioration des relations entre les deux parties au cours de la période coloniale - avec la reconnaissance d’une forme d’administration indirecte des marabouts sur les paysans - le recours aux marabouts par les politiciens désireux de mobiliser des électeurs et de recruter des militants, ils concluent sur la clôture de cette séquence harmonieuse au cours de laquelle « [E]verything seemed to be for the best in the Islamic and patrimonial world ». Ils soulignent que « … for the last ten years or so, and since the accession of Abdou Diouf as head of state, Islam seems to be a more and more autonomous force. The Islamic awakening is apparent in all social strata and manifests itself in a variety of ways. The increase in number of Islamic associations of all kinds is one sign of this renewal, whether they be traditional da’iras grouping the disciples of a single marabouts or modernist groups with social, political and goals influenced by reformist ideas »[19]. Un peu moins de dix ans après la publication de l’étude de Coulon et Cruise O’Brien, même s’il note lui aussi une recrudescence des manifestations religieuses musulmanes dans l’espace public sénégalais et la multiplication des risques de déstabilisation, L. Villalon estime que malgré la menace, « [T]he system has proven durable ». Il considère en effet que les groupes islamistes ont un rayon d’action exclusivement limitée aux citadins musulmans.

 

Islam et culture nationale: reevaluer le contrat social

La longue trajectoire sénégalaise, qui s’ouvre avec la mise en place de l’administration coloniale française, est précisément l’objet de l’introduction de Tolerance, Democracy and Sufis in Senegal. L’ouvrage aborde les différentes facettes, tours et détours de cette histoire pleine de rebondissements, constamment révisée par les acteurs, les circonstances et engagements, confrontations et coopérations entre les différentes confréries y compris leurs fragments et segments, et entre celles-ci et l’Etat. Les différents chapitres qui le composent, se préoccupent de mesurer et d’identifier, à partir de sites variés, les effets du Soufisme sur la société, l’espace public, les procédures démocratiques et le respect du pluralisme, y compris religieux. Les nombreuses formules sociales, culturelles et religieuses dégagées par les auteurs attestent de l’existence ce qu’on appelle « l’exception sénégalaise » que Donald Cruise O’Brien, après de nombreuses études consacrées à la confrérie mouride, restitue dans une formule simple et pourtant si révélatrice de la « success story » sénégalaise[20], assuré par le contrat social passées entre taalibe et marabouts et entre ces derniers et l’administration coloniale et les élites politiques postcoloniales. Un tel succès, selon l’analyse de Coulon et Cruise O’Brien « was attributed to the emergence of an authentic national culture, to relatively viable linkages between the communities (local, religious or ethnic) and the state. The success was manifest in the capacity of the governmental party as an effective political machine. The quality of the political leadership made the Senegalese state a ‘uniquely effective apparatus, and an instrument of stability although still unable to initiate an effective development policy. The state in Senegal at least was not a political artifact, working in a void, without effective links with society at large[21]. L’analyse dominante de Cruise O’Brien est l’objet d’un questionnement intensif et de propositions de révisions, comme c’est le cas, par l’exemple, de la contribution de Cheikh Babou. Il interroge “the underlying assumption [that] the social contract theory relates to the willingness of the state, colonial and postcolonial, to share power or at least to recognize an autonomous domain of authority to the leadership of the Muslim orders of Senegal”.

 

L’ouvrage juxtapose, des disciplines différentes et des approches théoriques et méthodologiques disparates, pour élucider les formes de vernacularisation et d’enracinement de la démocratie, de la tolérance et du pluralisme et pour participer ainsi à l’effort de bornage des contours du débat. Le choix retenu, une perspective de longue durée qui prête une attention soutenue aux inflexions et réaménagements des contrats sociaux entre taalibe et marabouts et entre ces derniers et l’État.

 

L’ambition de ce volume, en procédant de la sorte, est de faire sens de l’expérience sénégalaise en revisitant l’histoire, les possibilités, les mutations et les limites de cette entreprise politique si particulière dont le caractère uniquement sénégalais est l’objet de célébration par les Sénégalais eux-mêmes et par les chercheurs qui travaillent sur le Sénégal.

 

Les contributions à l’ouvrage procèdent à une réévaluation des raisons qui ont été avancées pour expliquer « a remarkable political stability, even a degree of democracy, based on a peculiar socio-political system in which Islamic institutions have been central but have coexisted with a nominally secular and have made no significant challenge for the control of the state, at least until recently […]. A well entrenched system of trilateral relations between the state, the religious elite, and a well-organized religious society have provided for a measure of reciprocity in Senegalese state-society relations, providing the country with its singular political system” »[22]. Les interprétations proposées, reconstruisent minutieusement les différents instruments et mécanismes idéologiques et matériels, avec lesquels les pouvoirs, politique et religieux continuent de s’énoncer réciproquement dans le temps et dans l’espace. Cependant, même si un effort d’unification théorique et méthodologique n’a pas été délibérément tenté, les auteurs de ce volume partagent le souci constant de ne jamais perdre de vue le contexte historique et les transformations des dispositifs culturels, institutionnels et des formules identitaires. Leurs analyses convergent pour dessiner les multiples facettes des économies politiques et religieuses sénégalaises et leurs interactions.

 

Le tableau historique et politique que je voudrais dessiner dans cette introduction a pour ambition de fournir le contexte dans lequel s’inscrivent les analyses mises en œuvre dans les chapitres qui constituent cet ouvrage. Il suit à la trace la constitution du modèle islamo-wolof, les différentes figures qu’il a pris, les réaménagements et contestations dont il a fait l’objet et la contribution des institutions musulmanes à la consolidation et à la légitimité de l’Etat colonial d’abord et de son successeur, l’État post colonial sénégalais.

 

la tradition Soufie  ouest-africaine : une genealogie

La présence de la tradition religieuse islamique Soufie est ancienne en Afrique de l’Ouest. Elle est demeurée dominante dans les manifestations régionales de l’Islam depuis au moins le début du 18ème siècle, sous différentes formes, d’abord ésotérique, ascétique et mystique, portée par une élite très restreinte, pour ensuite devenir, au début du 20ème siècle, une religion de masse, sous la forme confrérique, à la suite d’une phase militante et guerrière (jihad) animée par les marabouts guerriers comme Al Hajj Umar Tall à l’ouverture du 19ème  siècle et par Mamadou Lamine Drame à sa clôture. Au cours de cette période, se mettent en place les infrastructures éducatives musulmanes et se diffusent une économie morale, de connaissances et de relations sociales, qui dotent les communautés sénégambiennes d’une solide organisation sociale et politique que les marabouts guerriers investissent avec succès pour créer des États théocratiques ou se désengager des formations politiques traditionnelles et assurer ainsi la défense de leur autonomie. Les figures successives de l’Islam Soufi dans la région ouest africaine ont initié l’élargissement des frontières linguistiques et politiques des sociétés africaines et des formules de bricolages ethniques et religieuses qui réinventent constamment les affiliations et identifications. En effet, l’inscription du Soufisme dans le paysage spirituel a pris des allures de transactions parfois très poussées avec les structures sociales, les règles matrimoniales (y compris la prééminence des matrilignages et le pouvoir des femmes dans certaines régions), les rites et rituels des religions de terroirs. Ces formules expliquent la versatilité et les capacités, demeurées importantes, des confréries Soufies à s’appuyer sur de solides réseaux clientélistes qui leur assurent une certaine autonomie, pour transiger politiquement et socialement.

 

L’expansion coloniale mit fin aux activités des marabouts guerriers. La plupart des Etats islamiques s’effondrent devant les colonnes expéditionnaires coloniales. Dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, bien que la France se soit déjà proclamée « puissance musulmane » (Muslim power)[23], suite à la prise d’Alger en 1830, elle demeure hostile aux marabouts suspectés de vouloir reprendre les chemins de la guerre sainte. L’échec d’un gouvernement indirect, reposant sur les chefs traditionnels et  l’importante contribution des ordres Soufis dans la réussite de l’économie arachidière, devient très rapidement la base matérielle du contrat social liant l’État colonial (ensuite postcolonial) aux autorités maraboutiques et leurs disciples paysans[24]. Avec la conquête du Maroc en 1912, la politique musulmane de la France prend corps. Elle établit une classification rigide entre les musulmans fanatiques (les réformistes) et les musulmans tolérants. Elle lance « this conscious effort to control Islamic societies, select Muslim leaders and allies, and put a secular and tolerant face on imperialism was essential to whatever success colonial rule enjoyed. When the anciens regimes fell, The French could point to their acceptance of the institutions of Muslim civil society, particularly Islamic law and Sufi orders. »[25]. Les multiples transactions qui ont cours, durant l’époque coloniale, dont les pratiques et les figures politiques et intellectuelles sont informées et imprégnées par cette distinction radicale entre un Islam noir tolérant et flexible et un Islam maure fanatique, participent à la construction du modèle islamo-wolof[26]. Il amarre l’Etat et les confréries dans un enchevêtrement complexe de relations politiques, économiques, culturelles et sociales. Il recouvre la totalité du champ social et assure, de surcroit, l’hégémonie d’une modernité qui se décline en Wolof, autant dans l’ordre idéologique du discours que celui des pratiques sociales dans l’espace public. L’État colonial français s’est appuyé sur les confréries Soufies pour assurer certaines fonctions telles que la collecte des impôts, la soumission des fidèles au commandement administratif et religieux et leur investissement continu dans l’entreprise économique coloniale.

 

Le contrat social, solidement ancré aux institutions formelles de l’appareil administratif et politique colonial, aux institutions de l’Islam confrérique dont les figures sociales et les dispositions relatives à la loyauté, à la solidarité et au respect des principes de soumission et d’obéissance du taalibe au marabout, ont une plus grande profondeur et résonance sociologique. Le résultat à été l’établissement d’une formation sociale coloniale dont un large secteur est administré directement par les marabouts, associés, de manière certes subordonnée, à la gouvernance coloniale et à l’exercice du pouvoir, au niveau local. Ils obtiennent, de la sorte, une position d’intermédiaires indispensables à l’exercice quotidien du pouvoir colonial, en particulier dans les relations entre l’État colonial et la paysannerie. Par leur présence dans le dispositif administratif colonial et leurs interventions dans les politiques coloniales, les marabouts donnent une couleur Wolof aux figures et à la langue du commandement et de la soumission.

 

L’intérêt de cette coproduction institutionnelle repose sur le fait  qu’à la différence des situations inaugurées par la constitution de l’État moderne, l’on n’assiste plus à une différentiation et à un contrôle total de l’espace public par les structures et institutions étatiques qui s’évertuent à dissocier radicalement les identités religieuses et l’appareil politique[27]. On n’assiste pas non plus à une confrontation du pouvoir religieux avec les structures politiques et l’appareil d’État pour fonder une société islamique comme le prône l’Islam politique[28]. Par contre, les marabouts Soufis parviennent à introduire leurs cérémonies religieuses, leurs rituels, leurs pèlerinages et lieux saints et leurs commémorations dans le calendrier républicain, le répertoire et la géographie de la colonie. Comme le montre Al Stepan dans cet ouvrage, “the historical pattern in Senegal of French and Sufi mutual accommodation in rural areas, and the urban dialectic between French colonial ‘concessions’ and Senegalese ‘citizen’s voting conquests’, helped socially construct a workable consensus concerning once conflicting divisions within Senegalese society. This contributed to Senegal never having a failed state, never having a military coup, never having a period where the state (French or Senegalese) ruled with no constraints on its ability to violate citizens’ human and political rights, and never producing political leaders who were able to successfully use religious or ethnic difference to create regime destroying conflicts to advance their interests. En échange, les marabouts et leurs grands clients obtiennent la reconnaissance des institutions islamiques par l’administration coloniale, leur inclusion dans l’espace colonial et une assistance matérielle dont une fraction est redistribuée aux disciples. Les marabouts s’aménagent ainsi une position centrale et exclusive d’intermédiaires entre l’Etat colonial et les masses paysannes.

 

théoriser le modele islamo-wolof

Le modèle islamo-wolof prend définitivement forme, dans une déclinaison et des idiomes Wolof, le long d’une syntaxe coloniale française. La mort des fondateurs des deux principales confréries, Al Hajj Hadj Malick Sy en 1922 et Amadu Bamba Mbacké en 1927, fournit l’occasion à l’administration coloniale, de renforcer les mécanismes et de multiplier les infrastructures qui arriment très fortement les deux partenaires. En effet, dans les deux cas, c’est elle qui pèse très fortement sur la succession des fondateurs, en prenant fait et cause pour les fils au détriment des frères. Elle assure ainsi l'unité des confréries?, leur bureaucratisation et leur très forte centralisation.

 

Les chapitres de l’ouvrage reprennent avec minutie l’analyse de la nature du contrat social passé entre l’État et les confréries en allant au-delà des contenus politiques et économiques qui ont le plus attirés l’attention des chercheurs et des observateurs de la scène politique sénégalaise. Ils réexaminent ses éléments constitutifs : le respect de l’autonomie de l’espace d’inscription, celui du déploiement des opérations respectives ou conjointes, du langage et de l’identité des parties contractantes et le recours pour les marabouts à la cosmologie religieuse pour traduire les ordres et les demandes de l’administration coloniale. Le travail de coproduction du modèle islamo-wolof, tout en garantissant le succès de l’entreprise coloniale, consolide en même temps l’enracinement et l’efficacité des confréries. Les dispositifs institutionnels du contrat social ont été forgés dès les premières décennies de l’installation de l’administration coloniale. L’État colonial s’est appuyé sur les confréries Soufi, pour assurer certaines fonctions telles que la collecte des impôts, la soumission des fidèles au commandement administratif et religieux et leur engagement dans l’entreprise économique coloniale.

 

Cependant il importe, après l’avoir décrit, de bien préciser la nature du mode d’institutionnalisation du modèle islamo-wolof pour pouvoir suivre ses métamorphoses dans le temps et rendre compte des stratégies et opérations permanentes de repositionnement des acteurs politiques et religieux. Dans ce dispositif, les confréries Soufi fonctionnent simultanément comme des institutions religieuses et administratives. Cette double institutionnalisation, administrative est religieuse, établit les contours d’une gouvernance coloniale qui s’appuie d’une part sur un gouvernement indirect des communautés exercé par les confréries sur délégation – la gestion et la police des frontières à l’intérieur des espaces communautaires dont elles ont la charge et des relations entre elles - de l’administration coloniale qui assure la cohésion et la stabilité du système. C’est précisément cette capacité de maintenir la loi et l’ordre et de faire exécuter les tâches assignées par l’administration coloniale, de manière efficace et productive, qui est la garantie de la stabilité de la gouvernance coloniale générée par le modèle islamo-wolof. L'autorité coercitive exercée sur le taalibe, d’une part, et la confiance et le soutien de l’appareil colonial, d’autre part, reposent sur les responsabilités assignées au marabout Soufi. Sa fonction principale est la surveillance minutieuse des relations, des transactions et des protocoles sociaux à l’intérieur de leur communauté religieuse et entre celle-ci et les autres confréries, des opérations que J. D. Frearon et D. D. Laitin qualifient de « institutionalized in-group policing »[29]. En l’absence de cet exercice autoritaire du pouvoir, le système vacille. Son succès valide l’existence de structures parallèles destinées à gouverner les segments d’une société coloniale fragmentée mais homogène. Le paradoxe d’une trame administrative cohérente et homogène comme maillage de fragments sociaux, garantit la tolérance (toleration) en assurant des expressions religieuses et confrériques plurielles, l'indulgence et le respect de la diversité. En effet, la conjonction des différentes facettes du pluralisme administré autant dans le champ administratif et les territoires confrériques que dans l’espace qui les associe solidement les uns aux autres, entretient la différence et la diversité et établit des règles partagées de la coopération, de la coexistence et de la tolérance (toleration). Des procédures qui, en retour, alimentent les modalités particulières de gestion du pluralisme. Une administration qui serait selon Ingrid Creppel, le fondement de la tolérance (toleration) conçue comme l’autorisation donnée à une variété de pratiques religieuses de se déployer librement dans l’espace politique, articulant ainsi le discours religieux à la demande politique[30]. L’intérêt de l’analyse de Creppell, dans le cas qui nous occupe, réside dans l’identification des éléments constitutifs de la tolérance (toleration), la reconnaissance de la diversité des engagements religieux, la mise à la disposition de chaque groupe d’un espace social d’affichage de ses manifestations (rituels, liturgies, cultes des saints, commémorations…) pour assurer leur individualité, coexistence et coopération. A la place de la loi qui, selon Creppell, est le principal instrument de l’établissement d’une politique de coexistence religieuse – qui inscrit fortement la tolérance dans le processus politique - au début de l’Europe moderne[31], le pluralisme administré du contrat social sénégalais repose principalement sur des ressources extra légales, islamiques Soufies, culturelles Wolof, politiques et administratives, françaises.

 

L’institutionnalisation religieuse renvoie à chaque confrérie prise individuellement. Elle offre des références religieuses spécifiques, des signes et des rituels d’identification et un territoire strictement borné qui contient les pratiques sociales quotidiennes du disciple et les formules spirituelles de la confrérie. L’établissement et la reconnaissance de manifestations propres à chaque unité confrérique – leur différence – assigne à chacune d’entre elles la mission de contrôler rigoureusement les disciples, de veiller strictement au respect de l’ordre et de la discipline et d’imposer une parole unique, incontestable, celle du Khalife Général. L’institutionnalisation administrative met à la disposition du marabout et de l’État un mécanisme qui permet de rattacher solidement le disciple à l’appareil administratif. Le marabout confrérique s’octroie – avec le consentement du disciple et de l’État - le rôle incontournable de médiateur entre les différentes parties. Il traduit l’État au disciple et vice-versa. En légitimant l’État aux yeux du disciple, il additionne à son autorité spirituelle, une tutelle et un droit de regard sur la vie terrestre de ce dernier. C’est ainsi que le marabout Soufi sénégalais ne peut désormais plus s’identifier autrement que par cette double reconnaissance de l’État et du disciple, indispensable à son autorité, son prestige et sa réussite matérielle qui sont autant de signes et de manifestations publiques de sa baraka. Cependant, l’identité religieuse singulière de chacune des unités confrériques participe simultanément à la configuration d’un territoire d’engagement inter-confrérique de coopération et de respect mutuel entre elles. La mise en œuvre des ressources inter-confrériques est en particulier manifeste dans le champ politique, bien avant que les sujets coloniaux acquièrent le droit de vote avec la loi Lamine Gueye de 1946. Les marabouts mourides, par exemple, ont pesé dans l’élection de Blaise Diagne, premier Noir sénégalais élu a l’Assemblée Nationale Française en 1914, en le soutenant financièrement et en demandant à leurs taalibe citoyens français, de voter pour lui. Cet espace commun, face à l'administration coloniale est le noyau de production du front commun maraboutique. Seydou Nourou Tall, petit-fils d’Al Hajj Oumar Tall fut leur porte-parole et le médiateur principal entre l’administration coloniale d’abord, postcoloniale ensuite et le système confrérique[32].

 

La double institutionnalisation politique et religieuse participe ainsi conjointement à la création d’un ordre politique qui opère dans un registre sociologique et un territoire institutionnel ayant acquis une forte légitimité. Elle instaure un pluralisme qui alimente le modèle islamo-wolof et sa modernité propre. En revanche, il est plus difficile de rendre compte des manifestations de l'administration pluraliste du contrat social sénégalais, relativement à sa seconde composante, celle qui lie le taalibe au marabout. Celle-ci repose sur le paradoxe, d’une part, de l’obéissance totale du premier à son maître et guide spirituel, illustrée par son attitude de soumission face à ce dernier, à celui d’un« corpse in the hands of the embalmer », et d’autre part, à l’existence des multiples options dont dispose le taalibe grâce à la nature conditionnelle de l’autorité du marabout[33]. Ce paradoxe, qui met en évidence, dans ce registre, les mises à l’épreuve du pluralisme administré fournit deux indications. Le taalibe n’est pas un acteur passif mais un agent très actif dans l’espace confrérique. Il dispose d’une capacité de négociation et de ressources face auxquelles le marabout doit composer en faisant preuve d’une grande flexibilité. Cruise O’Brien insiste avec raison sur cette tension en écrivant, « None the less, close attention of Sufi practice can show how misleading can be all the outward show of an abject subservience. Not only may the apparently absolute spiritual master be an occasion chosen by the disciples, but it is generally the case that the master must satisfy at least some of the disciples’ desires if he is to maintain control over his sacred clientele. The saintly master may even reach a tacit doctrinal understanding with his disciples, sacrificing the demands of Islamic purity to the requirements of acceptable tutelage. The appearance of total mastery and absolute subjection can thus conceal what is in effect a conditional authority, something close to a Sufi social contract[34].

 

L’ouvrage met aussi l’accent sur cet aspect central, qui a été négligé par la plupart des études qui ont au contraire mis l’accent sur le contenu idéologique du contrat social Soufi et ses conséquences politiques, le ndiggël[35], en particulier. Ils soulignent la complexité de la relation, son instabilité et les nombreuses options à la disposition du taalibe. Ils insistent en particulier sur les espaces ouverts, depuis un peu plus de deux décennies par le recul de l’analphabétisme, l’intensification de la compétition avec l’Islam intégriste et politique, la multiplication des conflits, au sein des branches familiales des confréries et entre elles et l’importance grandissante de la demande sociale des taalibe face à la crise économique.

 

Tout en continuant de s’adapter aux circonstances mentionnées ci-dessus, les arrangements du contrat social ont survécu au transfert du pouvoir de l’État colonial à l’État postcolonial sénégalais. Les mutations profondes subies par la base matérielle de la formation politique, sociale et économique sénégalaise - dominée désormais par l’économie urbaine, les mouvements migratoires et les ressources financières et sociales qu’ils génèrent , au dépend de la production des arachides – ont entrainé des processus d’altération et de révision des éléments constitutifs du contrat et l’introduction de nouvelles figures économiques, éthiques et esthétiques (littéraires et vestimentaires). Ce qui demeure l’enjeu principal des métamorphoses du modèle islamo-wolof, dans la transition vers l’État national, est le maintien et l’adaptation du pluralisme administratif, de la tolérance et de la flexibilité religieuse et administrative qui consacre l’assimilation réciproque du discours religieux à la demande politique et vice-versa. Le passage à l’État national ne fut pas facile à cause des projets culturels, économiques et politiques portés par différents segments de la classe politiques qui se sont lancés dans une compétition surveillée attentivement par les marabouts Soufis qui en sont des participants actifs.

 

Lorsque le Sénégal accède à l’indépendance, en 1960, la nature de l’État à construire, tout comme l’organisation de la société, des infrastructures administratives et des institutions représentatives, du nouveau local au niveau du sommet de l’État, préoccupent la classe dirigeante. La question centrale, dans cette quête, bien avant l’indépendance et le transfert du pouvoir à la classe politique sénégalaise concernait la place et le rôle de la religion musulmane et des confréries Soufies dans les nouvelles structures politiques, économiques, sociales et culturelles du nouvel État et du parti dominant, l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) qui devient le parti unique de 1966 a 1974 avant de se transformer en Parti Socialiste (PS) en 1974, suite à l’ouverture démocratique et l’instauration du multipartisme limité la même année, puis intégral en 1981, suite à la démission du Président Léopold Sédar Senghor (1980) et son remplacement à la tête de l’État sénégalais par son Premier Ministre Abdou Diouf.

 

vers une modernite wolof et islamique

Plusieurs épisodes sont indicatifs des évolutions inaugurées par l’indépendance. Les contours autant matériels que discursifs des relations entre la classe politique (au pouvoir et dans l’opposition confondus) et les communautés religieuses Soufies et ces dernières entre elles et entre leurs différents segments, prennent formes et tentent de proposer un langage et des références communes qui restent très flexibles. Cette bibliothèque écrite et orale qui sollicite des ressources Wolof et islamique – en particulier la relation marabout/taalibe – françaises – les responsabilités et droits du nouveau citoyen – impose un théâtre, une mise en scène et un dialogue qui sollicitent des manières d’agir, de parler, de se vêtir et de se parfumer et d’échanger, réellement et symboliquement, en public ou en prive qui produisent une modernité sénégalaise dont l’axe d’ordonnancement est la grammaire Wolof de la civilité. Cette modernité s’assigne une mission nationale, s’accaparant ou réduisant au silence l’esprit des périphéries[36], dans un dialogue permanent entre les entrepreneurs administratifs, politiques et religieux d’une part et les populations d’autre part. Un dialogue qui donne forme à des économies, matérielles, discursives et de plaisirs dont les références Wolof sont affichées.

 

Le premier épisode est ouvert par le référendum organisé par le General Charles De Gaulle, à son retour au pouvoir en 1958. Il propose l’indépendance immédiate ou l’autonomie dans le cadre de l’Union française aux colonies françaises d’Afriques noire. Alors que la classe politique tergiverse et n’arrive pas a prendre une position unanime, ni au niveau de l’Afrique Occidentale Française, ni au niveau des territoires, les marabouts Soufis, très sensibles à la place centrale qu’ils occupent dans le dispositif colonial ainsi qu’aux multiples privilèges matériels octroyés – y compris le gouvernement indirect de leurs disciples et des régions de production de l’arachide, produit par excellence de l’économie coloniale – prennent fait et cause pour la proposition gaulliste. Ils créent leur propre organisation pour faire campagne en faveur du « oui », l’indépendance dans l’Union Française et l’adoption de la nouvelle constitution proposée par le General De Gaulle, opposant ainsi la force électorale de leurs disciples à celle des militants des partis politiques sénégalais. Cette première confrontation entre les pouvoirs, politique et religieux, tournent à l’avantage des marabouts. La classe politique est contrainte de se ranger sur leurs positions. Ils appellent à voter pour le « oui ».

 

Le deuxième épisode a pour théâtre le moment de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale et le sujet de discorde, la constitution du nouvel État. Les marabouts Soufis, sous la conduite de Seydou Nourou Tall, tentent, une nouvelle fois, de forcer la classe politique à se ranger sur leurs positions, en proposant l’adoption d’une constitution d’inspiration islamique. La confrontation cette fois-ci tourne à l’avantage de la classe politique qui est elle-même traversée par des divisions relatives  au projet de construction de l’État moderne. Au sujet des formes de l’association des religieux à l’architecture administrative et politique, les désaccords au sein du pouvoir religieux et de la classe politique étaient nombreux et publiquement exprimés. Parmi les politiciens, on pouvait noter les diverses positions suivantes. Celle de Lamine Gueye, entre autres, vieux militant socialiste et franc-maçon et surtout produit d’une histoire, celle des citoyens des Quatre communes citoyens français ayant acquis le droit de vote et d’être représentés, partisan d’une séparation plutôt rigide entre l’État et la mosquée.

 

Les principaux ressorts de cette civilité des originaires qui est le fondement de l’action de Lamine Gueye dans les institutions locales et celles de l’Empire. Mamadou Dia, président du Conseil du nouvel État, co-leader avec Senghor de l’UPS, défenseur d’une exclusion totale des marabouts dans l’espace politique, selon lui une nécessite, pour aménager un accès direct aux masses pour le parti, était partisan d’une modernisation de l’Islam qui devait être débarrassé des scories des croyances traditionnelles et de la mystique Soufi pour réduire le pouvoir des marabouts sur les disciples. Dia voulait construire un Etat laïc inspiré par la loi et la moralité islamiques[37]. V. Y Mudimbe considère que celui-ci, comme homme politique et « théologien » (sic)[38]. Senghor, par contre, a très tôt - dès sa rupture avec le Parti Socialiste de Gueye, en 1948 et la création de son parti, le Bloc des Masses Sénégalaises (BDS) – construit son programme politique en s’appropriant le langage et les symboles du modèle islamo-wolof[39]. Les fondements philosophiques du projet Senghor/Dia d’un «  socialisme spirituelle », sont suivis à la trace pour en identifier la généalogie et les ressources sollicitées par les deux associés et les conséquences de son abandon par Senghor - suite à l’élimination de Dia - sur le projet modernisateur d’inspiration africaine qu’ils avaient mis en chantier. Les logiques d’accommodation, de fusion et/ou de dédoublement qui préside à la nouvelle démarche politique ouvrent à Senghor, le contrôle du gouvernement, du parti au pouvoir et de la présidence de la République. Les désaccords portaient sur les droits et responsabilités du citoyen et les fondements juridiques et culturels de la nouvelle citoyenneté, les contours des assemblées représentatives et leurs modes d’élection[40].

 

La victoire de Léopold Sédar Senghor sur Lamine Gueye et Mamadou Dia consacre, avec la mise en place du parti dominant, l’Union Progressiste Sénégalaise, le maintien du modèle islamo-wolof comme armature principale du système politique sénégalais. Sa principale modalité fut l’incorporation des élites maraboutiques et ethniques (Lebu et Joola en particulier) dans l’appareil politique, à titre de force supplétive et subordonnée, autant au plan idéologique, administratif qu’économique. Les dissidences d’Ibrahima Niasse de la Tijanyya de Kaolack, de Cheikh Tidiane Sy de la zawyia de Tivavouane, du fils du premier Khalife Général des Mourides, Cheikh MBacke Gainde Fatma, le retrait total de la scène politique du fils aîné du premier Khalife de la Tijannya, Moustapha Sy Djamil, établi à Dakar, n’eurent aucune incidence négative sur l’équilibre et la stabilité du système politique mis en place par Senghor. Le projet senghorien, fondé sur la manipulation d’une triple culture politique de légitimation du pouvoir de l’État républicain, des confréries Soufies et des traditions des terroirs, privilégie les relations personnelles au détriment du renforcement des institutions politiques. Senghor construit ses réseaux politiques sur « les petites patries »[41], les logiques vernaculaires et l’instrumentalisation des symboles du pouvoir. Il pouvait bien agir à la manière du « prince » écrit Janet Vaillant, mais c’était un prince dont le mode de relation avec le peuple était fondé sur les attentes et les pratiques locales[42]. Le symbole le plus fort de cette stratégie politique est l’adoption du « vert » islamo-wolof des terroirs ruraux contre le « rouge » urbain des originaires des Quatre Communes. Ce mouvement a reposé sur le déplacement du centre de gravité politique de la façade atlantique vers le pays Wolof confrérique (Waalo, Baol et Kajoor, Njambuur,) et les régions productrices d’arachides (Saloum), en particulier après l’élimination du Président du Conseil Mamadou Dia, accusé de vouloir promouvoir un Islam débarrassé des marabouts Soufis et recourant à des techniques modernes d’éducation[43] et décidé à reculer le « restricted literacy » qui entretient leur pouvoir sur les taalibe. Senghor célèbre l’enracinement, en manipulant systématiquement les registres de l’ethnicité, de la religion et de l’autochtonie et les codes culturels qui leur sont associés. En jouant sur le pluralisme administré par le biais d'une élite disparate, il parvient à bâtir une coalition d’intérêts locaux, au service de son pouvoir et de la stabilité de l’État.

 

Le troisième épisode s’ouvre avec l’apparition des premières fissures avec la crise de l’économie arachidière provoquée par la baisse des prix de l’arachide à la fin des années 60, la mort du Khalife Général des mourides Al Hajj Falilou Mbacké et l’ascension au pouvoir de son frère Abdou Lahat Mbacké en 1968 et le début du cycle de sécheresse au début des années 1970. Le nouveau Khalife des mourides propose de nouvelles formules pour répondre à la nouvelle situation. Face à l’État, d’une part, il recherche l’autonomie idéologique de la confrérie – la construction d’une bibliothèque et d’une imprimerie à Touba pour maintenir la loyauté des disciples devenus migrants – et une renégociation du pluralisme du contrat social administré par l’État. Dans cette reprise en mains interne et externe des modalités du contrat social, il remet en cause la coopération inter-confrérique et ouvre les confréries à la compétition pour le contrôle de l’appareil d’État et des positions économiques, d’autorité et de prestige, remettant ainsi en cause un des piliers du de l'administration pluraliste de la diversité. Cette dérive est renforcée par les tentatives de la technocratie sénégalaise qui prend progressivement les rênes du pouvoir politique et économique après la nomination d’Abdou Diouf au poste de Premier Ministre en 1970. La création du Parti Démocratique Sénégalais d’Abdoulaye Wade en 1974 et l’avènement de l’alternance politique qui consacre la défaite du Parti Socialiste en 2000, après quarante années de règne sans partage renforcent l’éclatement de la cohésion, l’effritement du respect mutuel et de la collaboration entre les confréries Soufi. La génuflexion du président lors de sa première visite après son élection et les références permanentes à Touba annonçaient un nouvel épisode dans les relations entre le pouvoir politique et le pouvoir maraboutique. Elles ont ouvert la voie à une polarisation politique fortement inspirée par les identités confrériques, remettant ainsi en cause ce que Mansour Sy Djamil, un des héritiers de la Tijanyya sénégalaise considère comme un « assaut contre l’exceptionnalité sénégalaise : la coexistence dans une communion parfaite de toutes les confessions confrériques et les croyances religieuses de notre pays »[44], remettant ainsi en cause « l’harmonie »[45] et « le respect réciproque entre les différentes confessions » [46] et la neutralité de l’État et de son chef[47]. Pour plusieurs observateurs,  c’est plutôt la remise en cause de la position équidistante de l’État vis-à-vis des confréries par Wade et la prééminence qu’il accorde aux mourides qui sont critiquées que son apparente religiosité[48]. Les (ré)aménagements étaient prévisibles[49]

 

La crise de l’économie arachidière a des conséquences sociales et économiques catastrophiques dans les pays wolof du ndiggël. Elle provoque une reconfiguration radicale de l’économie politique du mouridisme[50]. La révision de ces formes publiques de représentation et d’affichage de son économie visuelle et des connaissances, pour faire face à la migration de paysans mourides vers les villes sénégalaises, africaines et occidentales se précise. La migration offre de nouvelles bases d’accumulation économique, notamment dans le secteur informel qui est porté par leur dynamisme et créativité, avec la multiplication de circuits et réseaux licites et illicites, créant ainsi une nouvelle façon d’habiter la ville africaine, de l’exploiter et de l’occuper. Elle favorise aussi la configuration de nouvelles formules associatives qui donnent naissance à des types de leadership inédits, qui tentent d’ouvrir de nouveaux horizons, hors de la transmission généalogique du pouvoir. Nouvelles associations et nouveaux leadership offrent de nouvelles lectures de l’histoire et de la mission des fondateurs des confréries Soufies, déplaçant le curseur de la baraka vers la bibliothèque, la maitrise du savoir élaboré par le fondateur, la puissance mystique des lieux saints et des commémorations et enfin la fonction de khalife. Ces nouveaux sites spirituels, ainsi que le savoir et l’éthique qui leur sont associés, deviennent les armes de la critique des pratiques inaugurées en particulier par les petits-fils des fondateurs.

 

La multiplication des réseaux confrériques, la diversification de leurs références et affiliations et la constitution de fragments qui construisent progressivement une fondation idéologique et matérielle solide pour revendiquer leur autonomie vis-à-vis du pouvoir central confrérique, a été, dans une certaine mesure, servie par la disparition des derniers descendants directs des fils des fondateurs de confrérie et la transmission du pouvoir confrérique à la troisième génération, celle des petits-fils, au moment même ou se consolidait la volonté autonomiste des branches dont un membre avait accédé à la fonction de khalife. La fonction parait avoir été utilisée pour une sorte d’accumulation primitive de disciples, de ressources financières et foncières, de mises en place de réseaux à l’intérieur de l’appareil d’État et des circuits économiques, pour assurer une autonomie et une capacité d’intervention dans la période post-khalifale. L’abondance de nouveaux pôles d’actions et d’initiatives (new sites of agency) dans lesquels les acteurs peuvent transgresser les contraintes liées à la généalogie, pour agir de manière autonome, vis-à-vis du Khalife, a introduit des voix discordantes dans le champ religieux. On assiste ainsi à une dispersion de la légitimité confrérique qui renvoie au fondateur pour certains, à la fonction khalifale, aux lieux saints, aux miracles et commémorations qui se multiplient. Toutes ces manifestations ont concouru à la clôture de l’ethos de la solidarité, de la soumission et de l’obéissance à la parole du Khalife général qui a perdu son autorité incontestable. Les multiples lectures des identités collectives et des cultures confrériques ouvrent la voie à des représentations littéraires, visuelles, acoustiques et vestimentaires qui revendiquent une appartenance commune mais selon des expressions différentes. Elles ouvrent la voie à des bricolages et une créativité qui fait feu de tout bois, réinventant constamment les figures du fondateur et de ses successeurs.

 

La compétition entre les petits-fils, la raréfaction des ressources, ouvrent, pour la première fois des possibilités de contestation ou de refus d’appliquer le ndiggël, y compris à l’intérieur des familles maraboutiques. Les principaux acteurs du nouveau théâtre du pouvoir sont les jeunes, les femmes et les citadins, des segments de la population qui demandent un traitement autre que celui appliqué aux paysans qui constituaient, avant la crise des années 70, la population la plus importante de disciples. Les nouvelles opérations soulèvent de nouvelles interrogations sur la constitution du sujet moral et politique en temps de crise profonde des sociétés sénégalaises[51].

 

Ainsi, ce qui faisait la force et la stabilité du modèle – sa centralisation, l’unité de son leadership, son infaillibilité et son assurance incontestable - et sa capacité de négociation avec l’État, s’effrite de l’intérieur du système confrérique. La fragmentation est accentuée par l’ouverture du régime politique et l’établissement du multipartisme, limité à trois, puis à quatre entre 1974 et 1980 et finalement, à partir de 1981, à la levée de la limitation du nombre de partis. La diversification du marché politique a donné une nouvelle vigueur à la compétition au sein des différents segments des confréries sénégalaises qui négocient âprement leurs soutiens ou bien tentent de s’implanter directement dans l’espace politique, en créant leurs propres partis ou en devenant candidats aux élections. Certains marabouts deviennent des marabouts du monde.

 

le futur du contrat social. nouveaux acteurs et nouveaux roles: les femmes et les jeunes

 

Les chapitres qui constituent l’ouvrage, définissent autant le domaine politique que religieux de manière assez large pour inclure les interactions entre le politique et le religieux, chacun dans les manifestations autant vestimentaires que discursives qui leurs ont propres, mais aussi dans la constitution de la communauté nationale et de la citoyenneté. Une coopération qui semble avoir assuré le succès du contrat social sénégalais. Les modifications du contrat social en cours et ses conséquences sur la démocratie et la tolérance (toleration), amorcées depuis au moins la mort de Serigne Falilou MBacke, les querelles de successions et de leadership qui fragmentent la Tijannyya, suite à la disparition de Serigne Babacar Sy la consolidation de l’autonomie de la Tijanyya de Kaolack, dans la division et les suites sociales, politiques et économiques de la politique de modernisation entreprise par Senghor avec les lois sur le domaine national (1964), le Code de la Famille (1974) – la première intervention de l’État dans le champ des affaires civiles, devenu depuis quelques années comme le montre Alfred Stepan[52], le nœud de cristallisation de l’opposition des groupes religieux dissidents à l’État et aux confréries Soufies – ainsi que la reforme de l’administration locale et territoriale (1974), continuent de (re)modeler la société sénégalaise. Les trajectoires heurtées esquissées depuis la succession de Senghor par Abou Diouf et l’avènement de l’alternance politique avec l’arrivée au [pouvoir d’Abdoulaye Wade, ont successivement entrainé, l’approfondissement d’un système politique ouvert et pluriel avec les modifications du monde des affaires sénégalais et l’adoption de nouvelles politiques économiques, les métamorphoses de l’Islam confrérique et politique et la diversification des acteurs politiques et économiques, des leaderships et des langages de l’allégeance, de la soumission, du commandement et de la contestation et des théories et pratiques du (néo)patrimonialisme et du clientélisme. Les réalités et fictions du néo-libéralisme ont ouvert des chantiers très créatifs supportant une économie urbaine qui sollicite d'anciens et de nouveaux idiomes religieux, autorisant de nouvelles relations avec l’État et l’entreprenariat économique. Se mettent en place, instables et constamment renouvelées de nouvelles procédures et relations de pouvoirs qui transforment profondément le paysage politique et l’un de ses fondements, le contrat social.

 

L’ouvrage suit l’émergence du mouvement Sunnite au Sénégal, durant une période dominée par l’accélération de la globalisation, la libéralisation économique et la privatisation qui signent une présence massive dans l’espace public sénégalais, de biens de consommation et d’informations en provenance de l’Occident, de la Chine et du Moyen Orient[53].

 

Deux instances méritent une mention particulière dans ce cadre, les interventions des femmes, mises et des jeunes qui opèrent des stratégies de révision, de renouvellement ou de clôture définitive du modèle islamo-wolof[54]. Elles déploient des logiques d’autonomie et de constitution de lobby et groupes de pression sur de nouvelles bases et pour des gains de plus en plus colossaux et présentent des formes de plus en plus diversifiées d’association et d’interventions.

 

 

 

[1] Ashis Nandy, The Return of the Sacred. The Language of Religion and the Fear of Democracy in Post-Secular World. The Mahesh Chandra Regmi Lecture 2007. Kathmandu, Social Science Baha, Himal Books, 2007, p.

[2] Le texte  présenté ici est une révision de l’introduction de l’ ouvrage collectif,  Democracy, Tolerance and Sufis in Senegal (New York, Columbia University Press, 2013), qui est le produit d’une conférence organisée à Columbia University en 2008 par the Institute of African Studies,  The Institute for Religion, Culture and Public Life et The Committee on Global Thought.

[3] Souleymane Bachir Diagne, Islam et Société ouverte. La fidélité et le mouvement dans la philosophie de Muhammed Iqbal. Paris, Maisonneuve Larose, 2001.

[4] Zidane Meriboute. Islam’s Fateful Path. The Critical Choices Facing Modern Muslims. Translated by John King. New York, I.B. Taurus, 2009, p. 13. Pour le cas senegalais, voir, Al Stepan, “Stateness, Democracy and Respect: Senegal in Comparative Perspective”, Mamadou Diouf (ed.), Tolerance, Democracy and Sufis in Senegal. New York, Columbia University Press, 2013 (205-238

[5] Ibid., p. 13. Il est intéressant que dans le cas sénégalais, le politicien qui sortit victorieux de la lutte pour le pouvoir au moment de l’accession du Sénégal à l’indépendance, Léopold Sédar Senghor, un catholique, triompha de Lamine Gueye et de Mamadou Dia, en adoptant, vis-à-vis des confréries Sufi, la position défendue par Meriboute. Nous y reviendrons.

[6] Ibid., p. 177.

[7] Ibid., p. 177.

[8] Ibid., p. 179-180.

[9] Ibid., p. 187.

[10] Ibid., p. 193.

[11] Senegal. An African Nation between Islam and the West. Boulder, Lynne Rienner, 1995.

[12] D. Cruise O’Brien, “Senegal”, C. Coulon & D. Cruise O’Brien, « Senegal », J. Dunn (ed.), West African States. Failure Promise. Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p. 187. On peut se référer sur cette question de la stabilité politique et le rôle central qu’y jouent les confréries religieuses à l’article de L. Creevy, « Muslim Brotherhoods and Politics in Senegal in 1985 », Journal of Modern African Studies, 23, 1985, en plus des ouvrages cités ci-dessous.

[13] R. Fatton, The Making of a Liberal Democracy. Senegal’s Passive Revolution. Boulder, Lynne Rienner,

[14] Christian Coulon, “Developement and Fragility of a Semi-Democracy”, C. Coulon & D. Cruise O’Brien (eds.), Charisma and Brotherhood in African Islam. Oxford, Clarendon, 1988.

[15] M. C. Diop & M. Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Paris, Karthala, 1990.

[16] J. S. Trimingham, The Influence of Islam Upon Africa. Longon, Longm,an, 2nd edition, 1980, p. 142

[17] Cette cartographie rigide de l’islam en Afrique est contestée par Mara Leichtman, sur la base de son travail anthropologique sur les l’expansion de l’Islam Shi’a et l’apparition du communauté Shi’ite au Sénégal. Voir par exemple, son chapitre, The Authentification of A Discursive Islam. Shi’a Alternatives to Sufi Orders », M. Diouf & M. Leichtman (eds.), New Perspectives on Islam in Senegal. Conversion, Migration, Wealth, and Femininity. New York, Palgrave-Macmillan, 2009, p. 114.

[18] E. E. Rosander, « Introduction : The Islamization of ‘Tradition’ and ‘Modernity’”, D. Westerlund and E. E. Rosander (eds.), African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists. Athens, Ohio University Press, 1997.

[19] C. Coulon & D. Cruise O’Brien, Op. cit., 1989, pp. 156-157.

[20] D. Cruise O’Brien, in J. Dunn, op. cit., 1978, p.187.

[21] C. Coulon & D. Cruise O’Brien in D. Cruise O’Brien, J. Dunn & R. Rathbone, op. cit. p. 1.

[22] L. A. Villalon, “Generational Changes, Political Stagnation, and the Evolving Dynamics of Religion and Politics in Senegal”, Africa Today, 46, 3/4, Summer/Autumn 1999, p.130.

[23] Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine et les débuts de la colonisation. Paris, PUF, 1964 et Charles Robert Ageron, Les Algériens Musulmans et la France (1871-1919). 2 vols. Paris, PUF, 1968.

[24] Voir Donal Cruise O’Brien, The Mourides of Senegal: the Economic and Political Organization of an Islamic Brotherhood. Oxford, Clarendon Press, 1971; Jean Copans, Les Marabouts de l’arachide. Paris, Le Sycomore, 1980; Christian Coulon, Le Marabout et le Prince. Paris, Editions Pedone, 1981

[25] David Robinson, Paths of Accomodation. Muslim Societies and French Colonial Authorities in Senegal and Mauritania, 1880-1920. Oxford, James Currey, Athens, Ohio University Press, 2000, p. 77.

[26] Voir, M. C. Diop et M. Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Paris, Karthala, 1990 et M. Diouf er Mamadou Diouf, Une Histoire du Sénégal. Le Modèle Islamo-wolof et ses Périphéries. Paris, Maisonneuve Larose, 2001.

[27] Talal Asad, “From the History of Colonial Anthropology to the anthropology of Western Hegemony”, G. Stocking (ed.), Colonial Situations. Madison, University of Wisconscin Press, 1991.

[28] Olivier Roy, The Failure of Political Islam. London, Tauris, 1994 and Graham Fuller, The Future of Political Islam. New York, Palgrave-Macmillan, 2003.

[29] J. D. Frearon et D. D. Laitin, « Explaining Interethnic Co-operation », American Political Science Review, 90, 1996.

[30] I. Creppell, Toleration and Identity, Foundations in Early Modern Thought. London, Routledge, 2003.

[31] Ibid.

[32] Sylvianne Garcia, “Al Hajj Seydou Nourou Tall. ‘Grand Marabout’ Tijani”, D. Robinson & J-L. Triaud (eds.), Le Temps des Marabouts. Paris, Karthala, 1997 and A. Clark & L. Colvin, Historical Dictionary of Senegal. Metuchen NJ, Scarcrow, 1994.

[33] Symbolic Confrontations. Muslims Imagining the State in Africa. New York, Palgrage-Macmillan, 2003 p. 181.

[34] Ibid., p. 181.

[35] Le niggël est la consigne électoral que les marabouts Sufi donnaient a leurs disciples lors de chaque élection, leur indiquant très clairement pour qui voter, pour bénéficier de leurs bienfaits spirituels et matériels en contrepartie, le marabouts recevaient la récompense de l’État. Sur le niggël, voir M. C. Diop & M. Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Paris, Karthala, 1990.

[36] M. Diouf, Une Histoire du Sénégal. Le modèle Islamo-Wolof et ses Périphéries. Paris, Maisonneuve Larose, 2001.

[37] Mamadou Dia; Islam Societe Africaine et Culture Industrielle. Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1975 ; Essais sur l’Islam. Socio-anthropologie de l’Islam. Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1979 et Islam et Civilisations Negro-Africaines., Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1980. .

[38] V. Y. Mudimbe, Tales of Faith. Religion as a Political Performance in Central Africa. London, The Althone Press, 1997, p. 91.

[39] Mamadou Diouf, « Islam, the ‘Originaires’ and the Making of the Public Space in a Colonial City : Saint Louis du Sénégal », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 180-204).

[40] Souleymane Bachir Diagne, « A Secular Age and the World of Islam », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 36-50).

Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 180-204)

147

[41] Etienne Smith, « Des Arts de faire sociétés. Parente à plaisanteries et constructions identitaires en Afrique de l’Ouest (Sénégal) ». Ph. D dissertation, Institut d’Etudes Politiques, 2010.

[42] Janet Vaillant, Vie de Léopold Sédar Senghor: Noir; Français et Africain. Traduction Roger Meunier, Paris, Karthala, 2006.

[43] V. Y. Mudimbe, op. cit., fait reference à Ben Badis en Tunisie, Qarawiyyin, à Fes pour indiquer l’emergence d’une “clairvoyance coming out of the Koran  [that] proposed a call to modernity: how can we reorganize Islamic schools in todayu’s context? How and why Islam should be an African challenge and a response to modern cultures, and thus really present in the city, and not be perceived only as a far-away religious reference, accepted or tolerated for civility reasons and reserved to a marginal group of practionners?” p. 91.

[44] « Déclaration de Serigne Mansour Sy Djamil sur les derniers événements nationale: Wade na demi, dafa doy », L’Obs sur Seneweb.com, Actualités, 1/5/2010, p. 1.

[45] Ibid., p. 1.

[46] Ibid., p. 3.

[47] Ibid., p. 4.

[48] Etienne Smith, « Religious and Cultural Pluralism in Sénégal : Accommodation  Through ‘Proportional Equidistance’ », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 147-179).

[49] Joseph Hill, « Sovereign Islam in a Secular State : Hidden Knowledge and Sufi Governance Among ‘Taalibe Baay’ », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 (99-123).

[50] Beth Buggenhagen, « Islam New Visibility and the Secular Public in Sénégal », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 51-72).

[51] Ibid.

[52] Alfred  Stepan, « Stateness, Democracy and Respect : Sénégal in Comparative Perspective », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013 ( 205-238).

[53] Erin Augis, « Dakar Sunnite Women : The Dialectic of Submission and Defiance in a Globalizing City », Mamadou Diouf (ed.),  Democracy, Tolerance and Sufis in Sénégal. New York, Columbia University Press, 2013    (73-98).

[54] Voir sur cette question l’excellente thèse de Marie Broissier, « Quand la Mobilisation Produit l’institution. Pratiques de la Famille et Organisations Religieuses au Sénégal ». École doctorale de science politique. Université de Paris 1, 2010.