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L’antiAtlas des frontières est une manifestation (30 septembre 2013-1er mars 2014) qui se situe au croisement de la recherche scientifique, de l’art et de la technique. Elle envisage de manière inédite les mutations des mécanismes de contrôle aux frontières terrestres, maritimes, aériennes et virtuelles des États. Son objectif est de rendre compte des travaux d’une équipe transdisciplinaire constituée depuis 2011 par des chercheurs (en sciences sociales et en sciences dures), des artistes (web art, tactical geography, vidéastes, performeurs, hackers, etc.) et des professionnels (douaniers, industriels, militaires, etc.), tous intéressés par la question de la frontière. A travers une approche dépassant la cartographie et décloisonnant les champs de la connaissance et de la pratique, l’antiAtlas envisage l’escalade sécuritaire, les mutations des systèmes de régulations, l’évolution du contrôle des mouvements de personnes et des marchandises ainsi que les contournements ou les détournements des frontières (trafics, hacking, etc.) au cours des vingt dernières années.
Cette manifestation est née dans le cadre du programme exploratoire et transdisciplinaire de l’IMéRA sur les mutations des configurations territoriales contemporaines. Lancé en septembre 2011, avec le soutien financier de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, ce programme a donné lieu à l’organisation de onze séminaires de recherche internationaux entre 2011 et 2013. Au cours de la première année, ces séminaires ont permis de constituer une équipe de recherche internationale, de jeter les bases d’une approche transdisciplinaire et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. La seconde année a vu la poursuite de ces recherches mais a également été l’occasion de produire des œuvres associant des chercheurs à des artistes à l’image du jeu vidéo A crossing industry. Élaboré par des étudiants de l’Ecole supérieure d’art d’Aix- en-Provence en collaboration avec Douglas Stanley (artiste et enseignant) et Cédric Parizot (anthropologue, IREMAM, CNRS-AMU), ce jeu porte sur l’économie de relations complexe du passage aux frontières. Nicola Mai (London Metropolitan University), anthropologue et vidéaste, résident à l’IMéRA (2012-2013), réalise quant à lui une ethno-fiction avec des acteurs professionnels, Emborders, autour de la question de la biographisation de la frontière chez les travailleurs sexuels migrants en Europe. Ces œuvres, entre autres, seront exposées dans le cadre des deux expositions art-science qui auront lieu au cours de la manifestation (http://www.antiatlas.net/expositions/).
L’organisation de cette manifestation s’inscrit dans un cadre résolument transdisciplinaire puisqu’elle associe à l’IMéRA des partenariats scientifiques et artistiques. L’antiAtlas est co-produit avec l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, le laboratoire PACTE (Université de Grenoble, CNRS), Isabelle Arvers (commissaire d’exposition indépendante) et La compagnie, lieu de création à Marseille. Un partenariat a également été mis en place avec l’Organisation mondiale des douanes.
Grâce à la mise en dialogue des sciences dures et des sciences sociales, de la pratique et de la théorie, de l’art et de la science, l’antiAtlas propose un ensemble d’événements et de publications destinés à la fois à la communauté scientifique et artistique, aux décideurs, aux praticiens, ainsi qu’au grand public.
Un colloque international
Le colloque international a inauguré l’ouverture de la manifestation le 30 septembre 2013 à Aix-en-Provence. Il a proposé un bilan des réflexions développées dans le programme de recherche transdisciplinaire de l’IMéRA depuis 2011. Le programme de cette rencontre (http://www.antiatlas.net/programme-2/) s’est articulé autour de cinq ateliers thématiques. L’atelier 1 « Technologies aux frontières » a discuté des nouveaux mécanismes de contrôle apparus le long des frontières terrestres, maritimes, aériennes, mais aussi virtuelles, des états : biométrie, drones, systèmes de surveillance intégrés. L’atelier 2 « Économie de la frontière » a envisagé les enjeux économiques de l’escalade sécuritaire aux frontières et les interactions complexes entre les acteurs étatiques/non étatiques, formels/informels, privés/publics dans le fonctionnement des frontières actuelles. L’atelier 3 « Représentation, fictions aux frontières » a proposé de nouvelles approches inspirées de la création artistique pour mieux appréhender les nouvelles formes de rapport à l’espace, engendrées par les systèmes de contrôle contemporains. S’affranchissant de l’approche cartographique souvent trop statique, les intervenants de l’atelier 4 « Frontières, flux et réseaux » ont développé une approche en réseau, proposant ainsi une vision plus dynamique et plus complexe du fonctionnement des frontières et de leur traversée. L’atelier 5 « Matérialisation dématérialisation des frontières » a discuté du processus apparemment paradoxal qui s’exprime d’un côté par une matérialisation théâtralisée des frontières (construction de murs, blindages des frontières) et de l’autre, par une déterritorialisation (éclatement, flexibilisation, frontières ponctiformes) voire une dématérialisation des frontières (inscription dans le monde virtuel).
Deux expositions art-science : au Musée des tapisseries et à La compagnie
Les deux expositions sont au cœur de cette manifestation. À la fois scientifiques et artistiques, elles constituent deux dispositifs originaux pour diffuser les travaux et partager les réflexions développées au cours de ce programme au-delà du monde universitaire.
Elles présentent des œuvres réalisées en collaboration par des chercheurs en sciences humaines, des chercheurs en sciences dures et des artistes. Elles offrent plusieurs niveaux de lecture et de formes de participation : les visiteurs peuvent découvrir des œuvres artistiques et transdisciplinaires inédites, évoluer dans un espace de documentation transmédia et participer à des expérimentations. Ils sont également confrontés à des photos et des vidéos issues d’un appel à contribution international invitant le public et les migrants à présenter leurs vécus des frontières.
Mettant le public en interaction direct avec des robots, des drones, des jeux vidéos, des murs ou des installations interactives, l’antiAtlas vise à perturber le rapport entre le visiteur et l’objet exposé. Il ne cherche pas à simplement exposer les mutations des frontières contemporaines, mais veut véritablement interpeller les spectateurs afin de souligner combien eux-mêmes sont directement concernés par ces changements. Le scénario des deux expositions est articulé autour de cinq thématiques qui sont autant d’espaces dans chacun des lieux.
Escalade sécuritaire et technologique à la frontière
Ce premier espace aborde les transformations les plus significatives des frontières des États ainsi que le projet de recherche exploratoire de l’IMéRA qui a permis de les cerner. L’escalade sécuritaire aux frontières, sur terre, en mer, dans les airs et sur la toile, en Europe et dans le reste du monde, a en effet radicalement transformé leur nature et leur mode de fonctionnement : dans le contexte du développement des flux de personnes, de marchandises et d’informations, les dispositifs de contrôle se détachent désormais des territoires pour donner aux frontières des formes réticulaires, ponctiformes, ou même s’inscrire dans les corps des individus.
Frontières, flux et réseaux
Les dispositifs de contrôle créent des disjonctions entre les flux de personnes, de marchandises et les mouvements financiers, ainsi qu’entre leurs niveaux de fluidité. Si les circulations des marchandises et les flux financiers sont facilités, celles des hommes sont en revanche assujetties à des contrôles de plus en plus stricts. Ces dispositifs ont bouleversé et profondément réorienté les flux et les dynamiques migratoires. Ils ont enfin multiplié les drames humains aux frontières.
Contrôles, espaces et territoires
Il est ici question des bouleversements des rapports à l’espace et au territoire provoqués par l’escalade sécuritaire et les conflits aux frontières parmi les populations locales et les populations mobiles. Le durcissement du contrôle des mobilités, dans un monde où se développent des moyens de communication de plus en plus rapides, favorise la création d’espaces et de mondes asymétriques et décalés. Il s’agit donc ici de montrer comment les populations mobiles, mais aussi ceux qui décrivent leurs expériences (chercheurs et artistes), réagissent et s’adaptent en développant de nouvelles formes de sociabilités, de pratiques et de compréhension de l’espace. Les œuvres exposées soulignent également les limites de la cartographie classique pour cerner les espaces vécus et reconstruits par les populations frontalières et mobiles.
Incorporation et biographisation de la frontière
Il s’agit de montrer ici le processus de détachement de la frontière par rapport au territoire et son inscription dans les corps. L’individualisation du contrôle en fonction de profils biosociaux et psychosociaux de plus en plus précisément définis ne conduit pas uniquement à créer de nouvelles hiérarchies définissant des droits à la mobilité distincts entre les citoyens et les non citoyens. Elle provoque également une incorporation du contrôle et une biographisation de la frontière. Pour ne plus être identifiés ou fichés par l’intermédiaire de leurs empreintes digitales, certains migrants n’hésitent pas à se brûler ou se limer les doigts ; d’autres entreprennent de transformer leur identité nationale, leur histoire personnelle et parfois leur identité sexuelle pour pouvoir bénéficier de programme de protection et d’assistance humanitaire, et ainsi ne pas être expulsés.
Détournements de frontières
L’État n’est plus le seul acteur aux frontières : les politiques migratoires et les systèmes de contrôle aux frontières sont mis en œuvre dans le cadre de coopérations complexes entre les États et une multitude d’acteurs infra et supra-étatiques, publics et privés. De même, le renforcement du contrôle pousse les populations vivant aux frontières et celles qui les traversent à réajuster leurs activités, leurs parcours et leurs modes de passage. Faute de moyens, ces populations sont souvent contraintes de se tourner vers des individus ou des groupes spécialisés dans le contournement des obstacles physiques (murs, barrières, etc.), des systèmes de surveillances (radars, drones, systèmes biométriques), des réglementations juridiques (visas, systèmes de permis de déplacement, contrats de travail, etc.) ou encore des barrières virtuelles. L’escalade sécuritaire à la frontière ouvre donc toujours plus d’opportunités pour des passeurs, des contrebandiers, des fabricants de faux papiers, mais aussi, par exemple, pour des agences spécialisées dans le recrutement d’employés étrangers. En tirant profit de cette demande et des failles de ces systèmes, ces acteurs contribuent à faire émerger une économie sociale et politique complexe. Que ce soit pour l’étudier, la perturber ou encore mettre en lumière les dynamiques qui la structurent, les chercheurs et les artistes participent directement à cette économie.
Scénographie de l’exposition au Musée des tapisseries (1er octobre-3 novembre 2013)
Le Musée des Tapisseries dispose au premier étage d’une salle gothique, et au second étage, de plusieurs salles d’exposition aménagées pour accueillir les expositions permanentes, ainsi que de salles d’exposition temporaires. Dès l’entrée, les visiteurs sont invités à donner leur empreinte digitale. Puis, lorsqu’ils consultent les vidéos de chercheurs ou d’artistes, ils se font « voler » provisoirement leur image par des robots paparazzi, image qu’ils retrouvent exposée provisoirement sur un écran. Un espace de documentation donne accès à des ouvrages de références, des interviews de chercheurs, ainsi qu’aux archives numériques réunies sur le site internet du projet antiAtlas (voir infra). Les autres salles présentent des vidéos, des cartes et des installations interactives (documentaires, atlas augmenté). Nous avons fait le choix de ne pas avoir recours à un dispositif de présentation linéaire pour laisser aux visiteurs la possibilité de se tourner vers les questions qui les préoccupent et les stimulent le plus. En outre, chacun des cinq thèmes renvoie aux quatre autres.
Scénographie de l’exposition à La compagnie (13 décembre-1er mars 2013)
Le lieu de création La compagnie à Marseille a été réhabilité par Rudy Ricciotti en 1996. Il comporte un espace d’exposition dédié à la présentation d’images contemporaines (parmi les événements passés, ont été présentés les grandes installations de Gary Hill, Thierry Kuntzel, ou les photographies de Myr Muratet). Ce lieu poursuit une tradition d’accueil et de production d’expositions transdisciplinaires qui ont vocation à voyager et à dépasser les frontières.
À la compagnie, l’exposition de l’antiAtlas propose au public d’évoluer dans un espace de documentation transmédia et de participer à des expérimentations. Par ailleurs, des ateliers ainsi que des soirées spécifiques avec des projections et des rencontres sont proposés au public. La compagnie a des relations solides avec le milieu scolaire et les associations du centre-ville, qui permettent d’ouvrir l’exposition à des publics et des générations qui restent souvent en marge des activités culturelles, scientifiques et artistiques. Enfin, un appel à projet international lancé en avril 2013 a permis de donner la parole aux migrants, ainsi qu’aux photographes et vidéastes du monde entier. Cet appel à projet a été relayé par les structures partenaires de la manifestation (comme Migreurop) et permet d’ouvrir l’exposition à des acteurs divers.
Un site internet artistique et scientifique
Le site internet de l’antiAtlas et la documentation web qu’il offre aux internautes permet de pérenniser le travail réalisé lors du projet de recherche transdisciplinaire et au cours de cette manifestation. Il joue également le rôle d’un site d’archives et de documentation à destination du grand public, des artistes, des chercheurs et des institutionnels. Il offre une galerie artistique numérique qui présente des œuvres du net.art, des œuvres interactives, des web documentaires, des photos et des vidéos. Il permet d’accéder aux enregistrements audio et vidéos réalisés lors des séminaires de recherche et du colloque international, ainsi qu’à un certain nombre de publication en ligne (blogs, working papers, etc.). Le site opère également un travail de veille grâce à une bibliothèque de liens vers des sites de recherches, d’institutions, d’artistes et d’activistes traitant des mutations des frontières au xxie siècle et un agrégateur de flux.
Au cours de la manifestation, le site joue le rôle d’une véritable extension en ligne des expositions. Accessible aux visiteurs pendant ces événements grâce à des moniteurs disposés dans les salles, il leur permet de naviguer à travers différents types de ressources, scientifiques et artistiques. Pendant les expositions, cette documentation web complètera des œuvres exposées, soit en donnant accès au guide de vulgarisation en ligne, soit en faisant le lien avec des interviews des chercheurs, des cartes, et autres types de documents en ligne. Son accès au gré du parcours des visiteurs garantit la dimension résolument transdisciplinaire de ces deux expositions.
Comité d’organisation scientifique et artistique
Cédric Parizot - coordinateur du projet antiAtlas des frontières, anthropologue, IMéRA (AMU), Institut de Recherche et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman (CNRS-AMU)
Anne-Laure Amilhat-Szary - géographe, Laboratoire Pacte (Université de Grenoble, CNRS)
Jean Cristofol - philosophe, École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence (ESAA)
Nicola Mai - vidéaste, anthropologue, London Metropolitan University, Londres
Joana Moll – artiste, Barcelone.
Antoine Vion - sociologue, économiste, Laboratoire de Sociologie du Travail (LEST - AMU/CNRS), Aix-Marseille Université
Comissariat d’exposition
Isabelle Arvers, commissaire indépendante