Le discours politique des chiffres en France et en Allemagne à la fin de l'Ancien Régime

date

Mardi 14 Février 2012, 11h00 - 12h30

adresse

Salle R 143 (ENS de Lyon - bât Recherche), ENS de Lyon, 15 parvis René-Descartes, 69007 Lyon

Le discours politique des chiffres en France et en Allemagne à la fin de l'Ancien Régime

Séminaire organisé par Lars Behrisch

 

On s'est habitué,en matière des savoirs politiques et administratifs, à surnommer l'Epoque prérévolutionnaire d'ère protostatistique. Or, les Bureaux de Statistique du19e siècle, autant que leurs méthodes de concevoir la réalité sociale enquantités, ne sont pas nés du jour au lendemain: C'étaient bien les dernièresdécennies de l'Ancien Régime qui engendraient, au sein des cabinets et desadministrations, une aspiration jusque-là inconnue à chiffrer et à calculer -et ça, dans les principautés allemandes autant qu'en France. Cet engouementpour le chiffre' (Ph. Minard) était étroitement lié aux efforts de ces AnciensRégimes, dits éclairés', de réformer leurs systèmes fiscaux, le fonctionnementde leurs économies et l'efficacité de l'exploitation rurale. C'est sur cedernier plan que je me propose, d'abord, de montrer que l'esprit de réforme etd'efficacité allait de pair avec des visions politiques et des pratiquesadministratives qui se référaient, de plus en plus, à des chiffres (prétendus)précis des territoires et de leurs ressources.

Alors que sur ce plan général on remarque uneforte convergence entre la France et l'Allemagne, il s'agira, deuxièmement, dedémontrer l'écart entre les deux pays à cet égard. D'abord, la physiocratie,beaucoup plus répandue et beaucoup plus puissante en France qu'en Allemagne,offrait une vision théorique du monde rural qui se prêtait à une quantificationsystématique et complète du potentiel agricole, vision qu'on peut tracer jusquedans les procès-verbaux du Comité de l'Agriculture à la veille de la Révolution.

 

Dansles décennies précédentes, les polémiques menées autour des intérêts et desenjeus de la politique économique - comme, par excellence, la lutte pour etcontre le libre commerce des grains - s'articulaient souvent à l'aide desarguments chiffrés, leur donnant un public tout pareil à celui qui suivait levif débat, quantifié lui aussi, sur la dépopulation de la monarchie. EnAllemagne, rien de pareil: Le caméralisme, tout en prônant l'importancecentrale de l'agriculture (et de la population), et tout en l'envisageant commeune matière quantifiable, ne connaissait pourtant pas de rigidité théoriquepareille à la physiocratie - et, dès lors, ne se prêtait pas aussi facilement àune vision toute chiffrée des territoires et des ressources rurales.

 

En-dessous de cette surface de différentssystèmes de pensée d'économie politique, d'ailleurs bien recherchés, on traceun zèle de quantification, voire de calcul, au sein des administrationsregionales et locales. Or celui-ci était plus accentué dans les principautésallemandes qu'en France. Dans ces laboratoires de réforme qu'étaient lesprincipautés parfois minuscules, beaucoup plus densément administrées et plussoumises aux exigences réformateurs de leurs gouvernements que les provinces dela monarchie, nombre d'administrateurs étaient obsédés de tout chiffrer et,ensuite, de gérer leurs circonscriptions sur la base de ces donnéesquantitatives. De surcroît, la représentation chiffrée et tabulaire de leursadministrations servait de renforcer l'idée fixe qu'ils se faisaientd'organisation et de prévision efficaces. Donc, les différentes guises del'esprit statistique qu'on décèle dans les dernières décennies de l'AncienRégime réflètent une divergence plus profonde entre les cultures politiques desdeux pays - marquées par les revendications d'un public ou bien plutôt decelles d'une administration éclairés'. L'ère statistique devait en êtreimprégnée.

fellows

Histoire moderne
01/09/2011 - 30/06/2012