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Témoignage à propos de l’exposition organisée à l’Hôtel de Lauzun du 27 novembre au 31 décembre 2013
L’exposition de photographies intitulée Archéologie syrienne et premières lueurs de l’aube : de l’exaltation à la tragédie retrace les moments joyeux de l’action archéologique en terre syrienne avec un développement axé sur des sites et des monuments dégagés et étudiés par des savants et des archéologues de très grande qualité1.
En cinquante ans, le travail mené par la direction générale des antiquités et des musées de Syrie s’est transformé radicalement pour faire place à une vision archéologique claire destinée principalement à préserver le patrimoine et à donner aux sites et aux monuments une valeur universelle par l’application d’une politique archéologique d’ouverture et de collaboration avec les institutions scientifiques locales et étrangères.
Dans cet esprit, l’exposition a montré une variété extraordinaire axée sur trois thèmes complémentaires :
Une rétrospective de l’histoire de l’archéologie syrienne d’Ernest Renan à nos jours ;
La richesse du paysage archéologique syrien et le désastre consécutif de la guerre civile ;
L’aventure archéologique vé-cue sur le terrain.
L’aventure archéologique en Syrie a commencé en 1860 avec l’action légendaire sur la côte levantine d’Ernest Renan (1823-1892) à la recherche de la civilisation phénicienne. Ses travaux à Amrith et à Arwad ont abouti à des révélations majeures avec la mise en évidence de deux sanctuaires spectaculaires liés à des tombeaux royaux (Maghazil) richement décorés. Presque en même temps, le grand diplomate français Marquis Charles-Jean Melchior De Vogüe (1829-1916) sillonne la Syrie intérieure de la région hauranaise au sud jusqu’au Massif calcaire au nord à la recherche de l’architecture civile et religieuse du ier au viie siècle apr. J.-C.
Quelques années plus tard, René Dussaud (1868-1958), grand orientaliste français, va intensifier ses recherches sur le terrain, afin de publier la grande synthèse sur la topographie historique de la Syrie antique et médiévale.
Avec l’installation du Service des Antiquités2 au temps du Mandat français en 1920, une nouvelle phase va voir le jour par l’instauration d’une loi sur les antiquités et de plusieurs bureaux dans les grandes villes pour organiser les travaux archéologiques et la conservation des monuments antiques. Sur le terrain, des fouilles spectaculaires vont marquer plusieurs régions, notamment à Ras Shamra/Ougarit (à partir de 1929) sur la côte méditerranéenne sous la direction de Claude Schaeffer (1898-1982) et à Tell Hariri/Mari (à partie de 1932) sur la rive droite de la moyenne vallée de l’Euphrate sous la direction d’André Parrot (1901-1980).
Durant cette période de présence française, plusieurs projets vont renforcer la mise en œuvre d’une archéologie véritablement scientifique. En effet, la création de quatre musées importants à Damas, Alep, Souweida et Antioche va permettre de présenter à un large public les découvertes récentes. En même temps, des missions de nationalités diverses travaillent activement, en particulier à Tell Braq et Tell Chagar Bazar, sous la direction du grand savant anglais Max Mallowan (1904-1978) ; à Tell Halaf/Guzana, sous la direction du diplomate allemand Max Freiherr Von Oppenheim (1860-1946) et à Tell Atchana/Alalakh, sous la responsabilité de l’anglais Leonard C. Woolley (1880-1960), grand spécialiste de l’archéologie mésopotamienne.
Dans les années trente, plusieurs opérations françaises sont menées, à Palmyre, au Krak des Chevaliers, à Tell Ahmar, dans les villes mortes du Massif calcaire et dans la nécropole romaine de Homs, sous à l’initiative d’Henri Seyrig (1895-1973), protagoniste de l’archéologie levantine, secondé par Daniel Schlumberger (1904-1972), l’éminent défenseur de l’identité de l’art Oriental dans les courants artistiques grecs de l’époque hellénistique.
L’indépendance de la Syrie en 1946 fut l’occasion pour l’archéologie syrienne de confirmer son identité3 en s’inspirant des idéaux de Mohamed Kird Ali (1876-1952), figure du mouvement de renaissance arabo-islamique (al-Nahda). À cette époque, Sélim Abdulhak (1913-1992), de retour de France, a pour ambition ambition de poursuivre le travail commencé par l’émir Jaafar Al-Hassani Al-Jazaïri, le premier directeur du musée de Damas, notamment à travers une institution qui contrôle l’ensemble des travaux archéologiques et muséologiques pour mettre en valeur le patrimoine national. Il a tout d’abord inauguré une annexe importante du musée puis il a recruté de jeunes diplômés du département d’histoire de la faculté des Lettres, dont les plus brillants ont été envoyés en Europe pour consolider leur formation. Il collabora avec Joseph Sabba (?-1954), jeune diplômé de l’université de Yale qui mourut peu de temps après. Sélim Abdulhak forma finalement plusieurs services à la direction générale des antiquités et des musées (DGAM) et nomma le Dr Adnan Bounni (1926-2008) directeur du service des fouilles et des études archéologiques. Sélim Abdulhak, véritable fondateur de la DGAM, a voulu, pendant ses 16 ans de présence, entreprendre plusieurs chantiers de fouille. Il facilita particulièrement la reprise des fouilles du mandat à Ras Shamra/Ougarit et Tell Hariri/Mari et lança plusieurs missions à Tell Chuera, Amrith, Palmyre et Rassafé/Sergiopolis. Il avait une vision très avant-gardiste du rôle pédagogique du musée, renforçant ainsi l’équipe des conservateurs à Damas et Alep par une jeune génération de chercheurs. À cette période, le moteur des fouilles syriennes était Nessib Saliby (1923-1996), qui a notamment mené des travaux à Amrith, Raqqa, Palmyre et dans d’autres grands sites. Ses fouilles étaient exemplaires et ses études architecturales de très grande qualité. L’ensemble des réalisations de Sélim Abdulhak a été présenté au monde scientifique à travers les Annales Archéologiques Arabes Syriennes. Depuis 1951, cette revue a permis la diffusion des résultats des fouilles syriennes et étrangères ainsi que des synthèses. Sélim Abdulhak souhaitait également communiquer au monde scientifique sa vision concernant le patrimoine, les fouilles archéologiques, les musées et d’autres conceptions dans le domaine de la recherche archéologique, afin de sensibiliser les jeunes au patrimoine et à l’histoire de la Syrie.
Cette période florissante a été célébrée en 1969 par le ixe congrès international d’archéologie classique à Damas, événement conçu par Sélim Abdulhak et réalisé par Dr Adnan Bounni, Ce congrès a regroupé plusieurs dizaines de grands savants nationaux et étrangers. À partir de 1970, la DGAM se dote de grandes figures qui dirigent les services des fouilles et des études archéologiques, des monuments historiques, de la restauration et les laboratoires. Le musée, organisé par Sélim Abdulhak, regroupe cinq départements dont les conservateurs ont étudié pour la plupart à l’École du Louvre.
Durant cette période commence une grande phase de développement des fouilles. En effet, depuis les années 1960, la Syrie a lancé un appel international pour la sauvegarde des sites bientôt submergés par lelLac Al-Tabqa. La collaboration de plusieurs missions internationales avec l’Unesco marque le début de cette nouvelle ère, avec notamment une participation intense, en plus des équipes nationales, des équipes belges, allemandes, françaises, hollandaises, espagnoles, libanaises, américaines, suisses, anglo-américaines, italiennes et japonaises. Suite à ce projet, une exposition organisée à Alep inaugura une nouvelle page de l’archéologie syrienne. Les missions étrangères ont ouvert d’autres chantiers tels que ceux de Tell Brak/Nagar, Tell Hammam el-Turkmann/Zalba, Tell Bi’a/Tuttul, Tell Oumm el-Marra, Tell Abou Danné, Tell Leilan/Shubat Enlil, Tell Ashara/Terqa, et la direction a participé au lancement de plusieurs campagnes de fouilles comme à Ras Ibn Hani, Rahba-Mayadine. Ces séries d’actions ont donc permis à la Syrie, notamment à la façade levantine du Proche-Orient, de prendre de la valeur. Les récentes découvertes de grands sites importants de l’histoire par des équipes syriennes contribuent par ailleurs à illustrer les travaux de la direction générale des antiquités et des musées et rivalisent ainsi avec celles des grands centres de la Mésopotamie, de l’Anatolie et d’Iran. Cette phase prospère a finalement abouti à l’organisation de la première grande exposition des antiquités syriennes au Petit Palais de Paris (1983-1984), puis à des événements similaires dans plusieurs villes européennes et américaines. Les années 1980 se caractérisent par un essor toujours plus grand des fouilles archéologiques, ainsi que par le début d’une campagne de restauration des monuments des grands sites de Palmyre, Apamée, Rassafé/Sergiopolis et bien d’autres. Cette politique a été maintenue durant les années 1990, permettant alors à la jeune génération de chercheurs syriens d’entreprendre le travail de terrain et la mise en valeur des monuments anciens. Cela s’est traduit notamment par la publication de deux nouvelles collections scientifiques, « Chronique archéologique » et « les documents d’archéologie Syrienne » (DAS), vouées à diffuser l’ensemble des activités réalisées.
Pour conclure, la Direction Générale des Antiquités et des Musées a connu trois générations de chercheurs : les pionniers, les grandes figures et l’équipe actuelle. Nous avons accompli des étapes essentielles et nous espérons qu’une quatrième génération trouvera les moyens d’atteindre un statut international, développant ainsi les spécificités de notre école au sein des courants archéologiques internationaux.
Mais aujourd’hui, avec le désastre qui domine notre pays et la disparition progressive de notre patrimoine par une guerre dominée par la haine et la rancœur, que restera-il de ce passé glorieux ?
Remerciements
Nous tenons à remercier particulièrement Fadia Abou Sekeh (DGAM-Damas) et Samas Shamas (DGAM-Damas et Université de Damas) pour l’aide précieux au cours de la préparation de cette notice.
Références
Nous devons saluer plusieurs personnes qui ont contribué au développement de cette exposition et de cette plaquette : Dr Maamoun Abdulkarim, Directeur Général des Antiquités et des Musées de Syrie ; Dr. Marc Griesheimer, de l’IFPO-Damas/Beyrouth ; Dr Dominique Parayre, de l’université Charles-de-Gaulle Lille iii ; Mme Marie-Thérèse Cerf, de l’Institut d’études avancées de Paris et Dr Cheikhmous Ali, de l’université de Strasbourg.
Pour cette période, cf. Mathilde Gelin : L’archéologie en Syrie et au Liban à l’époque du mandat (1919-1946). Histoire et organisation, éd. Geuthner, Paris, 2002.
Pour cette période, cf. Michel Al-Maqdissi (éd.) : Pionniers et protagonistes de l’archéologie syrienne 1860-1960, d’Ernest Renan à Sélim Abdulhak, Damas, 2008 (Documents d’Archéologie Syrienne XIV) et Michel Al- Maqdissi, Ahmad Firzat Taraqji et Eva Ishak (éd.) : Pionniers et protagonistes de l’archéologie syrienne 1860-1960, d’Ernest Renan à Sélim Abdulhak, Damas (Documents d’Archéologie Syrienne XIV) (version en arabe).
Liste des figures
Figure 1 : Sélim Abdulhak, Henri Seyrig et l’émir Jaafar al-Hassani al-Jazaïri à Chypre, Saint-Hilarion le 9 octobre 1949 (Archives de l’IFPO, Photothèque Damas-Syrie)
Figure 2 : Le Général Adib Chechakli avec André Parrot en visite à Tell Hariri-Mari le 1er novembre 1952 (Archives Ihsan Chechakli)
Michel Al-Maqdissi enseigne l’archéologie orientale et la civilisation phénicienne à l’université de Damas et à l’université Saint-Joseph des Jésuites à Beyrouth. Depuis 2000, il est directeur du service des fouilles et études archéologiques à la direction générale des antiquités et des musées (DGAM) de Syrie. En 1984, il a dirigé sa première mission archéologique en Syrie du Sud, avant d’entreprendre deux projets archéologiques visant à étudier la nature des villes syriennes aux iiie et iie millénaires av. J.-C. Il s’intéresse également à la littérature et à l’ethno-archéologie. Eva Ishak est chercheur à la DGAM.