Un institut en Asie : le Jawaharlal Nehru Institute of Advanced Study

auteur

Aditya Mukherjee, Jean-Luc Racine

date de sortie

06/01/2010

Jean-Luc Racine : Vous êtes directeur de l’institut d’études avancées de New Delhi. L’université Jawaharlal Nehru (JNU) est l’une des meilleures universités en Inde. Pourriez-vous nous dire pourquoi l’université a décidé d’ouvrir un institut d’études avancées en son sein ? Quelle est la politique scientifique de l’institut et quelles en sont les activités ?

 

Aditya Mukherjee : JNU, comme vous l’avez souligné, est une des meilleures universités indiennes. Bien qu’elle n’ait été fondée qu’en 1969, elle a été capable d’attirer les meilleurs étudiants et talents de tout le pays. Il était regrettable qu’aucune université indienne, y compris JNU, ne soit dotée d’un institut d’études avancées. L’Inde compte plusieurs instituts autonomes, tels que le Nehru Memorial Museum and Library de New Delhi ou l’Indian Institute of Advanced Study de Shimla, mais ces structures accueillent exclusivement des chercheurs indiens. À une époque où l’économie de l’Inde se développe rapidement et que le pays s’ouvre au monde, cette politique d’accueil semble inappropriée. À JNU, nous accueillons des chercheurs venus de tout le pays, ce qui est une très bonne chose, mais nous avons perçu la nécessité d’accueillir des chercheurs venus du monde entier.

 

Dès lors, en 2005, l’idée d’un institut d’études avancées porté par JNU a été discutée. Mais comme toutes les nouvelles idées, il a fallu un certain temps pour la mettre en œuvre : nous avons réellement démarré notre activité en 2008 et nous accueillons aujourd’hui en moyenne 50 chercheurs venus du monde entier chaque année. Notre politique consiste à développer des liens au-delà du Royaume-Uni et des États-Unis – les connexions coloniales et post-coloniales. Nous nous efforçons d’attirer des chercheurs issus des autres régions du monde puisque, comme vous le savez, nous rappelons constamment le besoin de coopération Sud-Sud. Mais lorsqu’il s’agit du milieu de la recherche, les scientifiques dans leur grande majorité ne semblent construire leur réseau qu’avec le Premier monde. L’institut s’efforce donc particulièrement d’atteindre des chercheurs en dehors des réseaux traditionnels.

 

Comment fonctionne votre institut ? Offrez-vous à la fois des résidences de recherche de longue et de courte durée ? Le principal axe scientifique de l’institut est celui des sciences humaines et sociales : dans quel sens est-ce entendu ? Comment la dynamique d’un institut opère-t-elle concrètement ?

 

Nous ne nous consacrons pas exclusivement aux sciences sociales, mais ces dernières occupent une place prédominante non seulement parce que JNU est reconnue dans ces domaines, mais aussi parce que dans le champ des sciences naturelles, il est difficile d’attirer des chercheurs résidents pour de longues durées. Ceci s’explique par le besoin de travail en laboratoire. En conséquence, les professeurs en sciences naturelles sont accueillis dans les départements de nos universités en tant que professeurs invités. Nous accueillons toutefois des chercheurs issus des sciences naturelles qui ont un programme de recherche pluridisciplinaire et qui considèrent que l’institut est un lieu plus approprié qu’un département universitaire. En fait, un des points sur lesquels insiste fortement l’institut est que quelle que soit l’aire de recherche spécifique du résident, son étude doit être pluridisciplinaire. Dans le cas contraire, le chercheur aurait tout intérêt à préférer le département universitaire relatif à son sujet. Il est véritablement passionnant pour nous de faire interagir au sein de l’institut des chercheurs issus de nombreux horizons disciplinaires, travaillant tous à la frontière de leur discipline.

 

De quelle manière invitons-nous nos chercheurs ? Nous avons commencé par communiquer largement, mais cela a été un désastre. Nous avons donc choisi d’identifier des personnes avec lesquelles amorcer les résidences. La première année, nous avons choisi d’inviter des personnes issues de certains pays dont nous n’avions jamais eu de résidents. Nous avons identifié des chercheurs brésiliens, d’Afrique du Sud, de Tanzanie, des Caraïbes, et nous avons fait notre possible pour les faire venir. Nous avons également fait un effort particulier pour des chercheurs issus du continent européen. Concernant la France, nous accueillons depuis 2009 des chercheurs via le Memorandum of Understanding que nous avons négocié avec la Maison des sciences de l’Homme, à Paris. La MSH a été d’une aide précieuse en facilitant les contacts entre les chercheurs indiens et étrangers. Ce Memorandum nous a également permis d’identifier des chercheurs indiens dans l’optique d’un séjour de recherche en France.

 

Par ailleurs, étant actuellement chercheur résident à l’IEA de Nantes, j’ai rencontré des chercheurs qui ne connaissaient pas l’institut de New Dehli auparavant, mais qui souhaitent aujourd’hui venir en résidence. Nous avons également signé un Memorandum avec les institutions de recherche d’Heidelburg, en Allemagne et en Malaisie. Dans l’ensemble, nous sommes aujourd’hui capables d’attirer des scientifiques de différentes disciplines et de différents pays – de l’Amérique au Japon – qui émettent le souhait de devenir résidents de notre institut.

 

Vous avez tout à fait raison : tout institut d’études avancées a par définition d’une part une approche interdisciplinaire et pluridisciplinaire, et d’autre part la conscience que la question de l’internationalisation de la recherche est vitale. Selon l’expérience que vous avez acquise lors de vos venues en Europe – et non seulement dans les pays anglophones –, quel est l’impact sur la vie intellectuelle des communautés scientifiques en Inde de l’internationalisation de la recherche que les instituts d’études avancées promeuvent ?

 

C’est une question cruciale et la raison pour laquelle nous avons décidé de monter un institut : il ne s’agit pas seulement de stimuler l’atmosphère intellectuelle sur le campus de JNU, mais aussi d’avoir un impact dans New Delhi, et nous l’espérons, dans tout le pays. Des chercheurs résidents, je n’attends rien. Je pense être capable de sélectionner de bons résidents. Une fois qu’une personne compétente arrive, nous ne manquons pas d’activités. Nous avons eu l’exemple d’Ari Sitas, un éminent sociologue, poète et activiste sud-africain qui a travaillé sur la politique industrielle de l’ensemble de l’Union africaine. Pendant sa résidence à l’institut, il a été invité à JNU, dans la ville et dans tout le pays pour parler et interagir avec des chercheurs, militants et citoyens. C’est ce que nous souhaitons !

 

Voici un autre cas qui illustre la manière efficace dont l’internationalisation de la recherche agit, ce sans travail préparatoire spécifique. J’ai encouragé nos chercheurs invités à organiser des ateliers et des séminaires. Jean Boutier, un chercheur marseillais spécialiste du début de l’Europe moderne, comptait parmi nos résidents. Disposant nous-mêmes d’une forte expertise dans cette période de l’histoire, nous souhaitions particulièrement accueillir un tel chercheur. Au cours de son séjour, il a proposé l’atelier « Les politiques contemporaines requièrent-elle l’expertise d’historiens et le savoir historique ? ». Il pensait au gouvernement français. Mais immédiatement, un professeur d’une université américaine d’origine hongroise a proposé de travailler sur la Hongrie et trois chercheurs allemand, roumain et indien ont souhaité participer à ce sujet. Je vous laisse imaginer les dynamiques de cette expérience formidable : des chercheurs d’horizons distincts ont proposé des réponses entièrement différentes
à la question de l’usage – ou de la réécriture – de l’histoire par les gouvernements. Je suis convaincu qu’une planification excessive ou un schéma défini des attentes que nous avions de cet atelier aurait anéanti l’exercice de la recherche. On ne peut pas planifier pour les chercheurs, telle est mon expérience. Ils s’organisent eux-mêmes. Il faut simplement les encourager à s’impliquer dans leur idée et les choses arrivent d’elles-mêmes.

Professeur d’histoire contemporaine indienne au Centre d’études historiques de l’université Jawaharlal Nehru (JNU) à New Delhi (Inde), Aditya Mukherjee est directeur du Jawaharlal Nehru Institute for Advanced Study. Il s’est entretenu avec Jean-Luc Racine, expert de l’Inde, codirecteur scientifique de la Maison des sciences de l’Homme de Paris et membre du comité de pilotage scientifique de l’IEA-Paris.