des répercussions de la commercialisation et la politisation de la science

auteur

Martin Carrier

date de sortie

01/08/2012

La pression économique et politique sur la Science

 

La recherche industrielle ou celle des universités sponsorisées par l’industrie a consacré de plus en plus d’importance à la science au cours de ces dernières décennies. De la même manière, les politiques demandent aux scientifiques des conseils et des solutions à court terme pour toutes sortes de problèmes concrets, allant du réglage du système de sécurité sociale au réchauffement climatique.

 

Deux sortes d’inquiétudes sont associées à la politisation et, de manière plus prononcée, à la commercialisation de la science. Premièrement, des appréhensions sont émises à l’égard de la nature des programmes de recherche et des moyens pour les établir ; deuxièmement, des inquiétudes sont soulevées concernant les processus de test et de vérification scientifique. Dans les deux cas, la question morale comme les craintes épistémologiques sont mises en avant. Les manières de sélectionner les problèmes sont critiquées sur le plan moral en soutenant que les questions de bénéfices locaux ou à courts-termes sont privilégiés par la recherche politisée et commercialisée, tandis que les problèmes à long terme qui sont primordiaux pour une grande partie de l’humanité sont négligés. Un des arguments pertinents est que la dominance d’intérêts non-épistémologiques a tendance à créer un caractère superficiel et inégal dans le processus d’examen empirique qui ébranle les hauts standards de la vérification scientifique. L’engagement pour la vérité est voué à être remplacé par la capacité à intervenir.

 

J’aborderais ces deux aspects, à savoir la sélection des sujets et l’évaluation des processus, pour chacun des deux cas, c’est-à-dire la politisation et la commercialisation de la science.

 

Le processus de vérification scientifique dans le cas d’une recherche politisée

On redoute que les influences politiques sur le processus de vérification scientifique ébranlent la crédibilité de la science. Si les dissensions politiques et le peuple influencent l’acceptation ou le rejet d’hypothèses, la science semble alors devenir un outil de la puissance politique avec pour conséquence l’effondrement de l’objectivité et de la fiabilité qu’elle revendique. Des exemples de la sorte peuvent être mentionnés : l’administration Bush a fait parler d’elle lors de ses tentatives de faire taire les critiques scientifiques concernant les avertissements sur le réchauffement climatique. Des influences politiques de ce type peuvent probablement être vues comme une détérioration de la fiabilité de la science.

 

Cependant un regard plus approfondi révèle que la situation n’est pas si évidente. Toutes les formes de politisation ne représentent pas un danger pour l’intégrité épistémologique de la science. Depuis les années 1930, les tests de QI sont considérés comme faussés si leur résultat aboutit systématiquement à des scores moyens différents entre les hommes et les femmes. Dans ce cas, une influence politique sur le développement du test peut être conjecturée mais ne portera pas atteinte à l’ambition épistémologique de la science. Un autre exemple de la sorte est l’archéologie féministe. Les restes d’hommes préhistoriques donnèrent fréquemment lieu à l’interprétation de l’origine du modèle social de l’homme « gagne pain » et de la femme au foyer ce qui entraîna la non prise en compte de preuves soutenant l’existence de femmes préhistorique pratiquant la chasse et la guerre. Des tombes de femmes avec des arcs ou des épées en guise de cadeaux funéraires ont été déterrées mais n’ont pas été reconnus comme prouvant l’existence de femmes chasseuses ou guerrières. Il devint alors évident que les archéologues avaient involontairement invoqué un modèle familial prédominant leur époque pour interpréter les résultats de leurs fouilles. A contrario, le couple travailleur d’aujourd’hui tend à fournir le modèle permettant de donner un sens à des données fossiles comparables. Un changement de valeurs politiques entraine une modification de l’interprétation des données dans son sillage.

 

Je dirais que ces deux cas représentent épistémologiquement des influences bénéfiques des valeurs politiques dans la tentative de vérification scientifique. Le défi est de distinguer clairement les formes de politisation épistémologiquement bénignes de celles mettant en péril l’objectivité de la science.

 

Les influences politiques sur le programme de recherche

Les influences politiques sur le programme de recherche sont souvent prises comme une nuisance à la qualité épistémologique des résultats. Cette crainte n’est pas infondée. Un problème pratique peut être résolu en mettant en évidence un principe scientifique déjà existant ou en en créant un nouveau à partir de morceaux de connaissances combinés. Cela signifie que la ressource théorique nécessaire à la résolution d’une difficulté pratique ne peut être établie à l’avance. De ce fait, on peut donc conseiller de choisir la direction opposée en partant des connaissances pour aller vers les fondements du défi pratique. En conséquence, les larges recherches épistémologiques, plutôt que les petites enquêtes ciblées, sont le meilleur moyen de rendre la science efficace face à un problème pratique. La recherche régie par la demande a du souci à ce faire ; seule la recherche régie par la connaissance peut espérer répondre efficacement à un cas pratique.

 

La « guerre contre le cancer » du président Nixon conforte cette recommandation et donne un exemple d’échec d’une recherche ciblée. Le programme de recherche pour la lutte contre le cancer dans les années 1970 a été développé d’après le modèle du programme Apollo et avait pour but de battre le cancer en poursuivant des projets de recherches ciblés à grande échelle et déterminés par une application. Cependant, malgré de généreux financements, la tentative médicale ne résulta généralement qu’à un reétiquetage des projets de la recherche fondamentale. Avec du recul, cet échec est attribué à un manque de connaissances de base sur la maladie. Pourtant des connaissances incomplètes des informations fondamentales ne contrecarrent pas toujours les tentatives de recherches coordonnées. Après tout, le programme Apollo avait conduit un homme sur la Lune avec succès en suivant à la lettre cette recette – malgré un important défaut de connaissances. De plus, quand le projet Génome Humain a été lancé, la structure du génome n’était pas comprise en profondeur et les technologies associées étaient très peu développées. Des révolutions technologiques furent nécessaires à la réussite complète de cette tentative ambitieuse, et ces révolutions furent anticipées et prisent en compte lors de la conception du projet. C’est là que les prévisions audacieuses ce sont réalisées. Le résultat venant de preuves non-confirmées montre que parfois l’innovation peut être stimulée et que la science peut être poussée à aller dans une direction voulue, mais cela ne marche pas toujours. De plus, la pression politique sur les programmes de recherches aide parfois à faire sortir la science de sa tour d’ivoire de spécialité disciplinaire. Un exemple bénéfique de cette influence politique est le récent débat au Panel International sur le Changement Climatique. Les chercheurs climatologues tentèrent de développer indépendamment leurs propres modèles sans oser prendre le risque de les mettre en commun. Certains abordèrent les courants atmosphériques, d’autres s’attaquèrent aux courants océaniques ; chacun développait sa spécialité disciplinaire. Ce sont les politiciens du Panel International sur le Changement Climatique qui incitèrent les scientifiques à recouper leurs modèles partiels pour créer une représentation plus complète. Il est clair que d’un point de vue politique, c’est l’action qui compte, et une action ciblée et responsable requiert à la base une représentation complète. Dans ce cas, la pression politique a eu une influence bénéfique sur le programme de recherche. Une fois de plus, la situation est ambivalente et demande à être éclairée par une observation et une réflexion poussée.

 

Évaluation des hypothèses dans la recherche commercialisée

L’exemple de la recherche pharmaceutique est souvent avancé pour dénoncer le déséquilibre en faveur des sponsors dans le cadre d’une recherche commercialisée. Les résultats de cette recherche sont sujets à une certaine souplesse, à cause des intérêts économiques.

 

Cependant, une observation plus précise sur la manière de juger des hypothèses lors de recherches déterminées par une application montre que de tels défauts occasionnels ne doivent pas être généralisés. Le plus souvent, les critères de jugement caractéristiques d’une recherche épistémologique sont respectés. La raison n’est pas difficile à expliquer : des relations superficiellement testées ou des résultats déséquilibrés risquent potentiellement de faire échouer le progrès technologique. Faire une utilisation technique fiable d’une régularité empirique impose souvent son intégration théorique. Divulguer l’origine et le fonctionnement d’un mécanisme ouvre souvent vers des options permettant le contrôle d’un phénomène.

 

Le fait est que, de manière générale, une connaissance qui a subit un sévère contrôle de qualité est particulièrement apte à une utilisation pratique. De ce fait, la falsification des résultats d’une recherche irait à l’encontre des intérêts des sponsors. Ils paient pour des résultats solides et fiables, supportant des tests pratiques, et non l’approbation d’un vœu pieux qui s’effondrerait face aux conditions de la vie réelle.

 

Dans la recherche industrielle, une performance non fiable ou des effets secondaires importants peuvent menacer une entreprise. Les problèmes de fonctionnement sont souvent une menace pour le fabricant et ce risque est augmenté par une connaissance incomplète du processus inhérent au fonctionnement d’un appareil.

 

L’élaboration du programme de la recherche commercialisée

Les partisans de la recherche utile fournissent une motivation essentielle pour diriger la recherche, ce qui signifie sur le plan économique que le programme de recherche est basé sur une estimation de succès commercial. Les décisions concernant les objets de recherche sont prises sur la base des estimations du poids des futurs marchés associés. Un programme de recherche prenant en compte l’utilité ou l’intérêt commercial offre des avantages sociaux et peut souvent s’avérer en adéquation avec l’intérêt public. La raison est que les consommateurs sont des humains et donc que la tendance des marchés crée une sorte de perspective démocratique pour les recherches déterminées par une application. C’est seulement ce qui va être apprécié et utilisé par de nombreuses personnes qui sera le sujet d’une tentative de recherche à financement privé.

 

Cependant, la sélection de problèmes sur le plan économique peut engendrer de graves effets secondaires. Différent groupes de sociétés et différents segments de l’humanité exercent leur influence sur les programmes de recherche. L’intérêt pour les zones en voie de développement économique ne va pas toujours en faveur de ces dernières. L’exemple le plus frappant vient de la recherche médicale dont le déséquilibre des programmes de recherches est connu et indéniable.

 

Il semble que l’aspect le plus douteux de la commercialisation soit un programme de recherche biaisé. Il est impossible de faire de la recherche dans tous les domaines et la sélection des problèmes qui valent la peine d’être étudiés dépend des intérêts et des valeurs, qui sont plus souvent partisans et particuliers qu’universels et accessibles. Cependant, c’est uniquement un manque de contrepoids public qui rend ce penchant si pervers. L’injuste liste prioritaire de la recherche médicale est avant tout le résultat du déclin de la recherche médicale publique. De ce fait, certaines formes de politisation de la science sont appropriées même si elles interviennent tardivement. La science est indispensable pour redresser la balance et que, pour le bénéfice de la société, elle obtienne l’importance qui lui revient.

Professeur de philosophie à l’université de Bielefeld, Allemagne, et membre de l’Institut d’étude des sciences et des technologies, il travaille essentiellement dans le domaine de la philosophie des sciences, et tout particulièrement sur les transformations historiques des sciences et des méthodes scientifiques, sur la dépendance à la théorie et la vérification empirique, sur les rapports entre les théories et le réductionnisme et sur les problèmes méthodologiques rencontrés par les recherches qui visent l’application pratique.

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