conflits d’usage des espaces naturels au costa rica

auteur

Edgar Fernandez Fernandez

date de sortie

02/12/2013

discipline

Droit

Le Costa Rica est reconnu au niveau mondial comme un pays qui a misé sur une forme de développement basée sur le respect et la protection des espaces naturels. Cette reconnaissance est due notamment aux efforts faits à partir des années soixante-dix en faveur de la création d’un système de parcs nationaux et d’autres catégories de gestion d’aires protégées. Cependant, en dépit des apparences, la protection des espaces naturels ne correspond pas à une politique transversale et intégrée, mais elle coexiste, de façon parfois plutôt tumultueuse, avec d’autres politiques en concurrence avec elle. Cette approche sectorielle se traduit dans la pratique par des conflits d’usage multiples au sein de ces espaces. Nous assistons ainsi à l’émergence, d’une part, de conflits issus de la superposition de régimes juridiques spéciaux sur un même espace et, d’autre part, de conflits issus de l’occupation privative irrégulière des espaces affectés à des buts d’utilité publique.

 

CONFLITS ISSUS DE LA SUPERPOSITION DE REGIMES JURIDIQUES

Une première cause de conflits d’usage des espaces naturels au Costa Rica est celle de la superposition de régimes juridiques spéciaux sur un même espace. C’est le cas, par exemple, lorsque des régimes applicables à des espaces affectés à des finalités de protection de la nature se superposent au régime applicable à la zone maritime terrestre ou bien au régime applicable aux terrains destinés à des programmes de distribution des terres à des paysans sans terres.

 

Zone maritime terrestre et espaces affectés à des finalités de protection de la nature

La zone maritime terrestre correspond à la bande de deux-cent mètres le long des littoraux Atlantique et Pacifique du territoire national, indépendamment de sa nature, mesurée horizontalement depuis la ligne de la marée haute. Elle comprend aussi les terres et les roches que la mer laisse en découvert à marée basse. Font également partie de la zone maritime terrestre les îles, et toute autre formation naturelle qui sort de la mer, ainsi que les mangroves et les estuaires, indépendamment de leur extension1.

 

La loi relative à la zone maritime terrestre du 16 décembre 1977 donne à cette zone une destination éminemment touristique2 et confère son administration et son exploitation aux municipalités3. Celles-ci y trouvent un important intérêt en tant que source de revenus, car elles peuvent octroyer des concessions sur une partie de la zone maritime terrestre et exiger une redevance en échange aux concessionnaires. Le conflit surgit alors lorsque le régime applicable à un espace faisant partie de la zone maritime terrestre est modifié et lorsque l’administration de cet espace est transférée au ministère de l’Environnement et de l’Energie (MINAE), du fait de son inclusion dans les limites géographiques d’une aire protégée officiellement créée (1) ou de son classement dans le patrimoine naturel de l’État (2).

 

1) Inclusion dans les limites géographiques d’une aire protégée

L’inclusion d’un espace faisant partie de la zone maritime terrestre dans les limites géographiques d’une aire protégée a pour conséquence la non-application de la loi relative à la zone maritime terrestre du 16 décembre 1977 sur cet espace. En effet, l’article 73 de celle-ci dispose : « Cette loi ne s’applique pas aux zones maritimes terrestres incluses dans les parcs nationaux et les réserves équivalentes, lesquelles seront régies par la législation respective ». Le terme « réserves équivalentes » utilisé dans cet article a été interprété par la Procuraduría General de la República4, à partir de sa résolution C-174-87 du 8 septembre 1987, comme englobant toutes les autres catégories de gestion des aires protégées : les réserves biologiques, les réserves forestières, les refuges nationaux de la vie sauvage, les zones protectrices, etc. Ce critère a été confirmé par la Cour constitutionnelle dans diverses décisions, parmi lesquelles les décisions n° 1886-95 et n° 1887-95 du 7 avril 1995. Dans ces deux affaires, la Cour a affirmé que les refuges nationaux de la vie sauvage étaient inclus dans le concept de « réserves équivalentes » et, qu’en conséquence, en l’espèce la municipalité de Talamanca n’était pas compétente pour administrer le Refuge national de la vie sauvage Gandoca-Manzanillo. Les parcs nationaux et les « réserves équivalentes » étant alors régis, selon l’article 73 de la loi relative à la zone maritime terrestre du 16 décembre 1977, par la législation respective, les espaces de la zone maritime terrestre compris dans les limites géographiques de l’une de ces aires protégées sont administrés, conformément au deuxième paragraphe de l’article 32 de la loi organique sur l’environnement, par le MINAE, à l’exception des monuments naturels, administrés par les municipalités.

 

2) Classement dans le patrimoine naturel de l’État

Les forêts et les terrains à vocation forestière de la zone maritime terrestre font partie du patrimoine naturel de l’État. Ceci se dégage de l’article 13 de la loi forestière du 13 février 1996, lequel dispose que ce patrimoine sera constitué, entre autres, par les forêts et les terrains forestiers « des zones déclarées inaliénables », ce qui est le cas de la zone maritime terrestre, déclarée inaliénable par l’article 1 de la loi relative à la zone maritime terrestre du 16 décembre 1977. La Procuraduría General de la República a précisé, dans sa résolution C-297-2004 du 19 octobre 2004, que le classement de ces forêts et terrains forestiers dans le patrimoine naturel de l’État est une conséquence directe de la loi, sans qu’il y ait besoin d’un acte de classement de la part de l’Administration, critère qui a été confirmé par la Cour constitutionnelle dans sa décision n° 2008-16975 du 12 novembre 2008.

 

Tel que le disposent le deuxième paragraphe de l’article 13 et l’article 14 de la loi forestière du 13 février 1996, respectivement, le patrimoine naturel de l’État est administré par le MINAE5, et jouit d’un régime de protection qui le rend inaliénable, insaisissable et imprescriptible6. Pourtant, en dépit de la première de ces dispositions, le Pouvoir exécutif, par Décret n° 31750-MINAE-TUR du 22 avril 2004, avait reconnu une compétence aux municipalités pour administrer les forêts situées dans la zone maritime terrestre. L’excès de pouvoir réglementaire du Pouvoir exécutif a été précisément l’une des raisons pour lesquelles la Cour constitutionnelle a déclaré ce décret inconstitutionnel dans sa décision 2008-16975.

 

Terrains destinés à des programmes de distribution des terres et espaces affectés à des finalités de protection de la nature

L’Institut de développement agraire (IDA) est une entité décentralisée en charge d’exécuter la politique de l’État en matière rurale et d’administrer les terres qu’elle acquière pour les destiner à des programmes de distribution de terres à des paysans sans terres. Comme c’était le cas, traité plus haut, pour la zone maritime terrestre, des conflits surgissent lorsque des terrains destinés par l’IDA à des programmes de distribution des terres sont inclus dans les limites géographiques d’une aire protégée officiellement créée (1) ou sont classés dans le patrimoine naturel de l’État (2).

 

1) Inclusion dans les limites géographiques d’une aire protégée

Il existe des cas où des terrains acquis et destinés par l’IDA à l’un des ses programmes de distribution de terres ont été postérieurement inclus dans les limites géographiques d’une aire protégée. Un exemple très célèbre est celui d’une propriété appelée Salinas II, laquelle avait été acquise par l’IDA en 1977. Bien que celle-ci ait été incluse dans les limites de la Zone protectrice Tivives par le décret n° 17023-MAG du 6 mai 1986, l’IDA a continué l’exécution de son programme de distribution de terres. L’affaire a été menée jusqu’à la Cour constitutionnelle, laquelle, dans sa décision 1763-94 du 13 avril 1994, a statué qu’à partir du moment où les terrains de l’IDA avaient été incorporés à l’intérieur des limites de la Zone Protectrice Tivives, ils faisaient partie intégrante de ce que la législation en vigueur appelait le patrimoine forestier de l’État, et pour cette raison l’IDA était dans l’impossibilité, à partir de ce moment-là, de continuer l’exécution de son programme sur lesdites terres. Comme conséquence, la Cour a déclaré la nullité de tout transfert de terrains fait à Salinas II par l’IDA à partir du 6 mai 1986.

 

Il existe aussi un cas également célèbre où, cette fois-ci, c’est l’IDA qui acheta en 1979 un énorme terrain privé dont une grande partie avait été incluse depuis 1978 dans les limites de la Réserve forestière Golfo Dulce. Dans les années 1980 et 1990, l’IDA distribua et transféra des terres dans la partie du terrain acheté située dans les limites de la Réserve forestière. Depuis quelques années, il ne le fait plus en invoquant des décisions de la Cour constitutionnelle, telle que la décision n° 1763-94 du 13 avril 1994 sur Salinas II. Récemment, dans sa résolution FOE-PGAA-0750 du 29 octobre 2008, la Contraloría General de la República7 a ordonné à l’IDA de réaliser une enquête sur les transferts de terrains dans les limites de la Réserve forestière afin que ceux-ci soient récupérés par l’État. En même temps, les occupants de terres de l’IDA dans la Réserve forestière demandent à l’IDA de leur transférer les terrains qu’ils occupent et ils ont même présenté des projets de loi8 devant l’Assemblée législative afin que celle-ci autorise l’IDA a continuer le programme de distribution des terres initié.

 

2) Classement dans le patrimoine naturel de l’État

Une pratique courante de la part de l’IDA a consisté à acquérir des terrains qui ne sont pas à vocation agricole mais à vocation forestière ou qui sont recouverts de forêt, pour les destiner à l’un de ces programmes de distribution de terres. Même si ces terrains ne sont pas inclus dans les limites d’une aire protégée officiellement créée, ils sont considérés comme faisant partie du patrimoine naturel de l’État, et donc comme devant être administrés par le MINAE. La Procuraduría General de la República, à partir de sa résolution C-321-2003 du 9 octobre 2003, a interprété que les forêts et les terrains forestiers des organismes de l’Administration publique, y compris l’administration décentralisée, sont classés automatiquement dans le patrimoine naturel de l’État par les articles 13 et 14 de la loi forestière du 13 février 1996.

 

C’est en se fondant sur ces mêmes critères d’interprétation que la Contraloría General de la República, dans sa résolution DFOE-ED-7-2007 du 15 mars 2007, a obligé l’IDA à transférer au MINAE tous les terrains faisant partie du patrimoine naturel de l’État, y compris ceux inclus dans les limites géographiques des aires protégées. Cependant, l’une des difficultés rencontrées par l’IDA pour exécuter cet ordre, a été le fait que le MINAE a refusé d’accepter le transfert des terrains où il existe des occupants.

 

CONFLITS ISSUS DE L’OCCUPATION PRIVATIVE IRREGULIERE DES ESPACES AFFECTES A DES BUTS D’UTILITE PUBLIQUE

Il existe également au Costa Rica d’autres conflits d’usage qui trouvent leur source dans l’occupation privative irrégulière des espaces affectés à des buts d’utilité publique.

 

Ces conflits s’expliquent par l’une des façons traditionnelles d’accès et d’appropriation privée de la terre qui a existé au Costa Rica : l’usucapion ou prescription acquisitive. C’est ainsi que la loi n° 139 du 14 juillet du 1941, appelée « loi relative aux enquêtes possessoires », établit une procédure pour que le juge puisse attribuer un titre en vue de son inscription dans le registre foncier, à celui qui peut démontrer avoir exercé une possession de plus de dix ans sur un terrain, dans les conditions établies par l’article 856 du Code civil : à titre de propriétaire, continue, publique et paisible. À travers cette procédure, il est possible de se voir attribuer un tel titre aussi bien sur des terres appartenant à l’État qui ne soient pas affectées à des buts d’utilité publique que sur des terres appartenant à des personnes privées.

 

La possibilité, donnée par la loi n° 139 du 14 juillet 1941, d’accéder à un titre en vue de son inscription dans le registre foncier, explique la raison pour laquelle il existe une perception, au sein d’une grande partie de la population, selon laquelle le fait de s’introduire dans un terrain et de l’occuper pendant un certain laps de temps fait surgir un droit sur le terrain occupé. Elle explique aussi pourquoi l’on trouve partout dans le territoire national des personnes qui occupent des terres publiques et qui réclament des droits sur ces terres, même si elles n’ont pas vocation à être destinées à l’usage que ces personnes en font. Cette situation se traduit par des conflits d’usage lorsque les terres occupées par ces personnes sont des biens publics affectés à des buts d’utilité publique, constituant ainsi des dépendances du domaine public qui jouissent des caractéristiques d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, comme c’est le cas des terrains destinés à des programmes de distribution des terres et des terrains inclus dans les limites géographiques d’une aire protégée.

 

Occupation privative irrégulière des terrains destinés à des programmes de distribution des terres

Les programmes de distribution de terres à des petits paysans sans terre, à la charge de l’Institut de développement agraire (IDA), sont destinés à des personnes qui remplissent certains critères de type socio-économique et qui sont physiquement et techniquement capables de réaliser des travaux agricoles. Pourtant, ces terrains sont souvent occupés par des gens qui ne remplissent pas lesdits critères, soit parce qu’ils sont rentrés unilatéralement dans les terrains de l’IDA et que l’IDA ne les a jamais expulsés, soit parce qu’un bénéficiaire des programmes de l’IDA auquel l’IDA avait octroyé un titre de propriété sur une parcelle a transféré celle-ci à un tiers, sans l’autorisation de l’IDA, et que l’IDA ne l’a jamais expulsé non plus. Il existe aussi plusieurs cas dans lesquels c’est l’IDA même qui a octroyé des titres de propriété, dans le cadre de ces programmes, à des personnes qui ne remplissent pas lesdits critères.

 

Un arrêt de la Cour constitutionnelle et une résolution de la Contraloría General de la República ont mis en avant les buts et les bénéficiaires de l’affectation des terrains administrés par l’IDA, afin de faire valoir le régime de protection auquel ces terrains sont soumis de façon à ce qu’ils puissent servir à atteindre lesdits buts.

 

En effet, dans sa décision n° 7181-97 du 29 octobre 1997, la Cour constitutionnelle a affirmé que les terrains que l’IDA acquiert pour les destiner aux buts d’utilité publique que la loi lui confère, deviennent temporairement des dépendances du domaine public, à partir du moment où ils sont acquis par l’IDA jusqu’au moment où leur propriété est transférée aux bénéficiaires des programmes de l’IDA. Pour cette raison, personne ne peut acquérir par prescription acquisitive un droit de possession ou de propriété sur ces terrains, à moins de l’avoir fait avant l’acquisition des terrains par l’IDA.

 

Pour sa part, la Contraloría General de la República, dans sa résolution n° FOE-PGAA-0750 du 29 octobre 2008, a demandé à l’IDA d’annuler 180 titres de propriété octroyés dans le cadre de l’un de ses programmes de distribution de terres dans la Péninsule d’Osa, dans le Pacifique Sud du Costa Rica, car il avait été prouvé que l’IDA n’avait pas fait des études socio-économiques concernant les personnes auxquelles ces titres avaient été octroyés.

 

Occupation privative irrégulière des terrains inclus dans les limites géographiques d’une aire protégée

Nombre d’aires protégées ont été créées sur des terrains appartenant à l’État qui pouvaient être appropriés par des particuliers à travers l’usucapion ou prescription acquisitive : les terrains dits « vacants ». Il n’est pas rare, alors, qu’une grande partie des terrains sur lesquels ces aires protégées ont été créées aient été déjà possédés par des particuliers qui attendaient d’acquérir un droit de propriété par usucapion.

 

Mais la présence de particuliers a été la règle, même dans des cas où les aires protégées ont été créées sur des terrains appartenant à l’État pour lesquels les particuliers ne pouvaient pas espérer une quelconque acquisition par prescription positive, compte tenu du fait que ceux-ci avaient été déclarés inaliénables auparavant. C’est le cas, par exemple, des terrains faisant partie de la zone maritime terrestre. Un exemple concret de ce cas-là est celui du Refuge national de la vie sauvage Ostional. Cette aire protégée a été créée sur la zone maritime terrestre, comprenant ainsi la bande de 200 mètres de terre à partir de la ligne de marée haute et les mangroves comprises entre deux points de référence. Le but recherché par sa création a été celui de la protection des tortues marines et de leur habitat de nidation. Au moment de sa création, une communauté locale vivait déjà sur ces terres depuis plusieurs années, et aujourd’hui des institutions comme la Cour constitutionnelle9 et la Contraloría General de la República10 exigent leur départ pour des motifs liés à la protection de l’environnement.

 

Les conflits d’usage présentés dans cet article ne sont pas inévitables. Plusieurs solutions sont envisageables, selon le type de conflit. Celles-ci reposent avant tout sur une approche plus intégrale, et non pas sectorielle, de la gestion des espaces, perspective qui pourrait être atteinte par la mise en place d’un processus d’aménagement du territoire, y compris la création d’une instance de coordination politique et d’une instance de coordination technique des institutions qui possèdent des compétences sur le territoire.

 

Références

  1.  Articles 9-11 de la loi relative à la zone maritime terrestre du 16 décembre 1977.
  2.  Articles 26-29.
  3.  Article 3.
  4.  Organe chargé de clarifier à l’administration publique le contenu de textes législatifs, et dont les avis ont force contraignante pour celle-ci.
  5.  Deuxième paragraphe de l’article 13 de la loi forestière du 13 février 1996.
  6.  Article 14 de la loi forestière du 13 février 1996.
  7.  L’équivalent de la Cour des Comptes française.
  8.  Dossiers législatifs n° 17003 et n° 17016.
  9.  Décision n° 2020-2009 du 13 février 2009.
  10.  Résolution n° FOE-PGAA-0888 du 10 décembre 2008.

fellows

Droit
15/02/2013 - 15/12/2013

institut

01/09/2006
01/12/2006