Itay Lotem

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« Talking about race » : Réseaux antiracistes et stratégies changeantes en France et en Allemagne des années 1980 à nos jours
Le projet « Talking about Race » s’interroge sur les raisons du « changement discursif » dans l’activisme antiraciste des années 2000 en France et en Allemagne, et avec lui la transformation de l’antiracisme européen et la circulation des idées sur la « race » au-delà de l’espace anglophone. Le projet examine les horizons intellectuels d’une nouvelle génération d’activistes antiracistes du milieu des années 2000. Réagissant à l’évolution de la situation dans les deux pays, ces jeunes militants se sont éloignés de l’activisme matériel traditionnel pour se concentrer sur des stratégies discursives qui remettent en question le silence sur la « race » dans les débats publics.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le discours politique de l’Europe (continentale) a adopté une formule « plus jamais ça » qui cherchait à faire face aux crimes nazis, aux crimes de collaboration et à leurs héritages. Le discours socialement acceptable a donc refusé d’aborder ouvertement la « race » en tant que concept identifié aux théories européennes du racisme biologique. Cette situation a constitué un obstacle pour les nouvelles générations de militants antiracistes à partir des années 1980, qui cherchaient à s’attaquer à la discrimination raciale et à ses racines coloniales, mais ne disposaient pas d’un vocabulaire accepté pour le faire. Les stratégies qu’ils ont utilisées pour remettre en question ce statu quo, de la mobilisation du passé colonial européen à l’emprunt du vocabulaire de la « race » dans les débats anglophones — et en particulier américains — créaient souvent de nouvelles controverses sur les identités européennes contemporaines.
« Talking about Race » examine la manière dont les militants antiracistes ont négocié leur position dans la société en tant que sujets racialisés, en utilisant le vocabulaire dont ils disposaient et en réagissant au fur et à mesure aux réactions sociales. En combinant des entretiens d’histoire orale et des méthodes de sciences humaines numériques, cette étude donne un aperçu de la circulation des idées sur la « race » entre le monde universitaire, les objectifs des militants et l’évolution du discours public. Pour ces militants, aborder la question de la « race » dans la sphère publique exigeait non seulement de s’engager dans des idées globales et de les adapter aux contextes locaux, mais aussi d’interagir avec des débats changeants sur la signification des identités politiques progressistes, nationales et internationales, sur l’idée de nation et sur la manière de faire face à l’héritage d’un passé colonial et à l’inclusion des minorités racialisées.
En retraçant l’histoire contemporaine des articulations antiracistes de la race et de l’appartenance européenne, le projet examine :
- Comment les activistes ont-ils « traduit » les concepts académiques de la race pour aborder leurs « expériences vécues » du racisme ?
- Comment ont-ils comblé les écarts entre les préoccupations américaines et leurs contextes locaux, et où les contradictions ont-elles subsisté dans les articulations des militants sur la race ? En bref, comment les militants ont-ils abordé la question de la « race » dans un contexte politique qui ne leur laissait pas d’espace pour le faire ?
- Comment donner un sens aux différents transferts d’idées : d’un contexte anglophone à un contexte non-anglophone spécifique et de la théorie académique, en particulier sur l’intersectionnalité, à l’immédiateté de l’activisme ?
- Comment les militants antiracistes ont-ils mobilisé les « cultures mémorielles » existantes relatives à l’Holocauste et au colonialisme ? Comment ont-ils positionné les demandes d’inclusion de récits particuliers de minorités racialisées en abordant le passé colonial des deux pays comme le moment de gestation du racisme contemporain ?
En abordant ces questions, le projet poursuit deux objectifs principaux. Premièrement, examiner les stratégies de l’activisme antiraciste et parvenir à une meilleure compréhension du nouveau « tournant antiraciste » vers le discours et le langage. Dans les années 2010, l’antiracisme dans les deux pays s’est profondément imbriqué dans les débats sur la race : les militants ont emprunté le vocabulaire des débats anglophones — et souvent américains — sur la race dans le but de remettre en question les particularités locales. Qu’ils y voient un sens particulier du paternalisme républicain français ou une incapacité « spécifiquement allemande » à reconnaître son statut de terre d’accueil pour les immigrants, les acteurs antiracistes ont ciblé un refus commun de reconnaître l’importance de la race dans la lutte contre le racisme, qu’ils ont qualifié de « rétrograde » par rapport à l’attention plus « avancée » portée à la race dans les contextes anglophones. Ce faisant, ils ont déplacé le centre d’intérêt de l’antiracisme traditionnel des actions « sur le terrain » vers l’utilisation du langage et la formation du discours. Deuxièmement, ce projet vise à mettre au jour les processus de transmission entre les théories académiques écrites pour un public universitaire et les réalités de l’activisme antiraciste. Plutôt que de se demander si les activistes lisent la théorie « à tort », ce projet examine comment une nouvelle génération d’activistes antiracistes s’est approprié le vocabulaire théorique, en particulier les théories de l’intersectionnalité, sous la forme d’appels à l’action et à la résistance.
biographie
Itay Lotem est Senior Lecturer en études françaises à l’Université de Westminster à Londres, où il est basé depuis l’obtention de son doctorat à l’Université Queen Mary de Londres en 2017. Il est un historien contemporain de la politique de la mémoire, de la race et des mouvements sociaux dont les recherches chevauchent l’histoire intellectuelle, l’histoire culturelle et la théorie politique.
L’intérêt d’Itay pour les intersections entre les mouvements sociaux, la race et les politiques de la mémoire s’est développé dans sa première monographie, The Memory of Colonialism in Britain and France: The Sins of Silence (Palgrave Macmillan, 2021), la première étude comparative de la mémoire du colonialisme en Grande-Bretagne et en France depuis 1960 (présélectionnée pour le Memory Studies Association’s First Book Award en 2022). En 2024, il a publié une deuxième monographie, Dealing with Dark Pasts: A European History of Autocritical Memory in Global Context, qui propose une histoire intellectuelle des politiques mémorielles européennes depuis la Seconde Guerre mondiale. En outre, les articles qu’il a publiés interrogent l’utilisation militante de textes académiques, et en particulier le concept d’intersectionnalité, dans la politique de la mémoire.